Bonaparte
depuis longtemps, cela fait rire.
— Aussi croit-on à Paris que je vais me faire empereur, je n’en ferai rien, répond Bonaparte qui semble ce jour-là assez peu sincère. Voilà trois ans qu’il s’est fait assez de grandes choses sous le titre de consul. Il faut le garder. Je ne pense pas qu’il faille un nouveau nom pour un nouvel empire.
Roederer approuve Fouché :
— Général, dit-il, si vous ne prenez pas un titre supérieur à celui de consul, il faut en donner un différent aux personnes qui le prennent avec vous...
— Ils ne sont que grands conseillers. On pourrait les appeler ainsi ; mais cela ferait de la peine à Cambacérès.
— Aucune à Lebrun, assure de son côté Desmeuniers.
— Aucune, ajoute Roederer ; et il ferait même très bien entendre raison à Cambacérès.
— Il aurait fallu faire cela quand je les ai fait nommer à vie ; maintenant il faut attendre leur mort.
Puis il reprend :
— Au fait, ils gagneraient plus de considération à être grands conseillers. Tout le monde sait qu’ils n’ont de consuls que le titre. On supprimerait le piquet qui galope avec eux ; on leur laisserait un corps de garde à leur porte. Leur position comme consuls est vraiment embarrassante. Quelle figure font-ils, quand je reçois les ambassadeurs ?
— À vos audiences même du dimanche, renchérit Roederer, les personnes qui sont là ne savent quelle contenance tenir avec eux. Le principe est qu’il n’y a, dans un même lieu, d’honneurs que pour une personne. Cependant chacun veut leur rendre un hommage ; plusieurs affectent même de les regarder comme des colonnes de la République. La médaille du Corps législatif où l’on a gravé les trois têtes, est faite dans cet esprit.
— Si j’avais connu cette médaille, je ne l’aurais pas reçue.
— Général, j’espère que sur les nouvelles monnaies on ne mettra pas trois effigies...
— Non, sans doute !
— Si on les nomme grands conseillers, alors le Premier consul s’appellera simplement : le consul.
— Ou le grand Consul. C’est comme cela qu’on m’appelle chez l’étranger ; et je ne dis cela que parce qu’on le dit...
Il n’a peut-être pas osé ce jour-là parler de l’Empire. Au même moment courait dans le public l’histoire loufoque de Bonaparte descendant du masque de fer, et par conséquent des Bourbons, par le fils que le pseudo-frère jumeau de Louis XIV, enfermé à Sainte-Marguerite, aurait eu de la fille de son geôlier nommé Bompar – fils envoyé en Corse sous le nom de Bonnepart ! ... Ceux qui colportaient cette histoire en déduisaient que le Premier consul possédait de ce fait tous les droits à la couronne ! Bonaparte se contente d’éclater de rire. De même, lorsque les bruits de restauration monarchique à son profit viennent jusqu’à lui, il affecte de hausser les épaules :
— Il faut qu’ils me croient bien bête !
Mais, bientôt, un événement va le précipiter vers le trône.
Le 13 janvier 1804, le conseiller d’État François Réal, chargé de la Police arrive fort agité à Malmaison. Aussitôt reçu par Bonaparte, il lui annonce une grave nouvelle :
— Pichegru est à Paris. Cadoudal l’a fait venir de Londres !
C’est un prisonnier chouan – Quérelle – condamné à mort qui, espérant sauver sa vie, vient de l’avouer in extremis au cours d’un ultime interrogatoire. Le Premier consul a blêmi. Si Pichegru est à Paris, c’est assurément pour participer aux projets homicides de Georges Cadoudal et de sa troupe de tueurs.
Pichegru ! Étonnante destinée que celle de ce paysan de l’Arbois qui, en douze années, devint général de division sous la Révolution et général en chef de l’armée du Nord. Héros national qui a conquis la Hollande en une magnifique campagne ! En 1796, sous le Directoire, il quitte l’armée et entre au Conseil des Cinq-Cents. Mêlé au coup d’État du 18 fructidor, il est arrêté. C’est alors que les accusations commencent à pleuvoir.
Moreau affirme que lorsqu’il commandait l’armée du Rhin, le général avait trahi la République en écoutant les propositions du prince de Condé. S’il favorisait le retour à la monarchie, le comte de Provence se serait engagé à lui donner le cordon bleu et le château de Chambord. Qu’y avait-il de vrai dans ces tractations ? On ne sait, au juste. Quoi qu’il en soit, le Directoire déporte à Cayenne l’ancien défenseur glorieux de la République. Moins d’un
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