Bonaparte
Cinquante brigands, reste impur de la guerre civile, ayant à leur tête Georges Cadoudal et le général Pichegru ont pénétré dans la capitale. Leur arrivée a été provoquée par un homme qui compte encore dans nos rangs, le général Moreau, qui va être remis aux mains de la justice nationale. » Les royalistes essayent de résister en placardant à leur tour une affiche portant ces mots : « Moreau innocent, l’ami du peuple et le père des soldats, aux fers ! Bonaparte, un étranger, un Corse, devenu usurpateur et tyran ! Français, jugez ! »
Sans atteindre cette violence, certains Parisiens regrettent l’arrestation de Moreau. Bonaparte confie à Roederer :
— On ne me connaît pas encore, je n’ai pas assez fait pour être connu. J’estime les Parisiens de cette défiance ; c’est une preuve qu’ils ne se livrent pas en esclaves et sans connaître. Je vous ai toujours dit qu’il me fallait dix ans pour exécuter mon plan, je ne fais que commencer, il n’y a rien d’achevé.
Il n’y aura surtout rien d’achevé tant que Cadoudal et Pichegru seront libres. Le Premier consul peut être massacré à la première occasion. Les murs se couvrent de nouveau d’affiches donnant cette fois le signalement de Georges : « Cinq pieds quatre pouces, extrêmement puissant ; épaules larges, tête effroyable, par sa grosseur, cou très raccourci, doigts courts et cuisses peu longues, le nez écrasé et comme coupé dans le haut, yeux gris dont l’un sensiblement plus petit que l’autre, teint coloré, dents blanches, favoris roux : marche en se balançant, les bras tendus... » Le signalement du général est, lui aussi, diffusé et placardé : « Cinq pieds, cinq pouces ou six, moins quelque chose, le dos un peu courbé, visage un peu basané, figure un peu large, le nez large, à peu près comme un mulâtre, l’oeil très vif, cheveux châtains brun. »
Pichegru se fera prendre le premier. Comment vécut-il durant ses six derniers jours de liberté ? « Sur les quais, où, dix ans auparavant, général victorieux et commandant de la Garde nationale de Paris, a raconté Barbey, Pichegru avait passé, entouré d’un état-major caracolant, sauveur de la Convention, il en était maintenant réduit à errer furtive-met, l’oeil aux aguets, l’esprit torturé d’indécision. Le doute l’envahissait, paralysait sa volonté. Il songeait à la folie de son entreprise, cette association à la bande de Georges, ce concours donné à de vulgaires assassins ; il réalisait maintenant, peu à peu, l’abaissement auquel il avait consenti, il entrevoyait l’abîme où ses espoirs et ses projets venaient sombrer. »
Le 26 février, le malheureux va frapper à la porte du 11 de la rue Vivienne, où le commissionnaire en marchandises Treille accepte de le cacher. Mais l’appartement composé de pièces en enfilade où les visiteurs sont nombreux se prête mal à dissimuler celui qui est recherché dans tout Paris. M. et Mme Treille se lamentent devant leur ami Leblanc qui se trouve mis ainsi dans le secret. Il offre sa propre chambre, située à deux pas, 39, rue de Chabanais. Le général accepte avec émotion, Leblanc répond que c’est un honneur pour lui... et tous passent à table. Le repas est à peine commencé que Leblanc annonce qu’il a oublié un rendez-vous urgent – une fourniture à conclure. Il s’éclipse, promettant de revenir prendre sa place dès l’affaire terminée.
Où court-il ainsi ?
À la police. Leblanc est, en effet, un indicateur. Il y a cent mille francs à gagner pour celui qui livrera Pichegru. Il va préparer la nasse qui permettra aux sbires de Réal de cueillir l’ennemi à abattre. Puis, sa vilaine besogne accomplie, il va reprendre sa place à table. À neuf heures, le général, Leblanc et les Treille prennent le chemin de la rue de Chabanais. L’Opéra, on l’a vu, occupait encore l’emplacement de notre square Louvois, mais la rue de Chabanais ne reliait pas, comme aujourd’hui, la rue Rameau à la rue des Petits-Champs. La rue se heurtait à un haut immeuble devant lequel elle tournait à angle droit pour se terminer rue Sainte-Anne. Deux impasses, en somme, disposées en équerre. Le 39 de la rue de Chabanais est aujourd’hui le numéro 11 et forme l’angle de la rue Cherubini, autrefois l’une des branches de la rue où demeurait Leblanc.
Le général installé, la bonne reçoit l’ordre de monter se coucher au septième étage. Leblanc n’a
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