Bonaparte
travaux du camp de Boulogne et ordonne que l’on apprenne aux soldats à nager « en se relevant toutes les trois heures ». Il commande la construction d’une flottille de bateaux plats qui permettront de traverser la Manche.
Le consul n’a cependant guère fait attention à cet article paru dans le Journal des Débats trois jours après son retour : « On a fait l’épreuve d’une invention nouvelle dont le succès complet et brillant aura les suites les plus utiles pour le commerce et la navigation intérieure de la France. Depuis deux ou trois mois, on voyait, au pied du quai de la pompe à feu de Chaillot, un bateau d’une apparence bizarre, puisqu’il était armé de deux grandes roues posées sur un essieu comme pour un chariot et que derrière ces roues était une espèce de grand poêle avec un tuyau, que l’on disait être une petite pompe à feu destinée à mouvoir les roues et le bateau. Des malveillants avaient, il y a quelques semaines, fait couler bas cette construction. L’auteur ayant réparé le dommage, obtint avant-hier la plus flatteuse récompense de ses soins et de son talent. À six heures du soir, aidé seulement de trois personnes, il mit en mouvement son bateau et deux autres attachés derrière, et pendant une heure et demie il procura aux curieux le spectacle étrange d’un bateau mû par des roues comme un chariot, ces roues, armées de volants ou rames plates, mues elles-mêmes par une pompe à feu. En le suivant le long du quai, sa vitesse contre le courant de la Seine nous parut égale à celle d’un piéton pressé, c’est-à-dire de deux mille quatre cents toises par heure ; en descendant, elle fut bien plus considérable... L’auteur de cette brillante invention est M. Fuiton, Américain, et célèbre mécanicien. »
Mécanicien, en effet, puisque Fulton, en juillet 1801, a fait évoluer à Brest son Nautilus, un véritable sous-marin d’une longueur de six mètres quarante, naviguant en surface avec une voile, et en plongée – fort lentement sans doute – à l’aide d’une hélice qu’un matelot faisait mouvoir en tournant une manivelle... L’engin plongeait lorsqu’on pompait de l’eau dans ses ballasts et s’enfonçait jusqu’à près de sept mètres. À bord, un réservoir d’air sous pression permettait de demeurer immergé durant six heures. Le but du Nautilus ? Aller poser des caisses bourrées d’explosifs sous les flancs des navires ennemis !
On parle au Premier consul des deux inventions. Bonaparte hausse les épaules :
— Il y a dans toutes les capitales une foule d’aventuriers et d’hommes à projets offrant à tous les souverains de prétendues merveilles qui n’existent que dans leur imagination. Ce sont autant de charlatans et d’imposteurs : cet Américain est du nombre ; ne m’en parlez pas davantage.
Lorsqu’il reviendra sur sa décision, il sera trop tard : Fulton aura été porter ses inventions aux Américains...
Le 3 novembre 1803, Bonaparte repart pour Boulogne. Il y restera une quinzaine de jours. Dès son arrivée, il se rend à la baraque élevée sur la falaise de la Tour d’Ordre – il s’agit d’une construction de trente-deux mètres de long sur sept de large. « J’ai été toute la journée en rade, écrit-il le lendemain à Cambacérès, où nous avons plus de cent bâtiments embossés. Nous avons engagé une vive canonnade avec les ennemis qui avaient une douzaine de bâtiments, dont plusieurs vaisseaux à deux ponts. Une frégate a été démâtée... Nous n’avons eu de notre côté, qu’un homme qui a eu la jambe emportée d’un coup de canon. Un canot portant cinq hommes d’équipage a reçu un boulet qui l’a coulé, mais il a été relevé, et les cinq hommes composant son équipage, ont été sauvés. Je suis baraqué au milieu du camp et sur le bord de l’Océan... »
La mer devient mauvaise et – le 7 novembre – la tempête met cinq bateaux de débarquement en péril. La moitié des équipages est noyée et Bonaparte passe la nuit à encourager, et même à aider, les sauveteurs.
Quelques jours plus tard, le Premier consul devait passer une nuit plus distrayante. Joseph Bonaparte – le colonel Joseph, comme on l’appelait – avait découvert à Boulogne une dame point farouche nommée Mme Fagan, une de ces belles, nous dit Constant, « touchées du triste sort de tant de braves et beaux officiers », venues à Boulogne « pour charmer les ennuis d’un si long repos ». Informé
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