Bonaparte
père !
Mme Murat, ne trouvant rien à répondre devant une remarque aussi pertinente, prend le parti de s’évanouir. En voyant le corps de sa soeur étendu tout de son long sur le tapis, Napoléon sent la pitié l’envahir : désormais Mmes Murat et Bacciochi seront princesses et altesses impériales... mais les maris demeureront – provisoirement – roturiers.
La nouvelle paraît au Moniteur du 20 mai. C’est un dimanche – ou, pour être plus précis, le décadi 30 floréal an XII, jour de la Houlette, car le calendrier révolutionnaire se trouve toujours en vigueur. Floréal s’achève, Prairial commencera dans quelques heures, mais le temps n’en est pas moins maussade et une boue épaisse couvre les chaussées de Paris.
Ce qui est bien fâcheux ce jour-là. En effet, dès le matin, massés sur les trottoirs – une nouveauté due au Consulat –, les Parisiens, goguenards, regardent un étrange spectacle. Précédés d’une clique à cheval, d’une musique placée sur un char à gradins, de dragons de la gendarmerie, flanqués d’une cohorte de généraux empanachés, suivis d’un corps de trompettes et de timbaliers, quinze à vingt civils à cheval, en bas de soie et culotte courte, essayent, sans trop y parvenir, de se donner des airs de cavaliers. Ces messieurs les maires de Paris, – depuis la veille on ne disait plus citoyen –, les présidents et chanceliers du Corps législatif et du Sénat, s’en vont lire en cet équipage, sur les principales places de la capitale, le décret proclamant Napoléon Bonaparte empereur des Français. La lecture terminée, la mascarade – le mot est de Fontanes, président du Corps législatif – repart au son d’une marche allègre qui fait se cabrer les chevaux. Celui du président – il le racontera – manquera le « jeter vingt fois dans la boue ».
Les Parisiens contemplent « ce cortège de mardi gras » – expression empruntée au même Fontanes – tout en applaudissant, bien sûr, mais sans enthousiasme délirant. La majorité est sans doute satisfaite de voir « les factions anéanties » et « les fureurs révolutionnaires » n’être plus qu’un mauvais souvenir, mais le peuple n’en est pas moins un peu désarçonné par ce retour à des formules qu’il croyait définitivement bannies. Le cortège a déclenché des rires devant le Luxembourg, place du Corps-Législatif, place Vendôme, place du Palais du Tribunat, place du Carrousel, place de l’Hôtel de Ville et place du Palais de Justice.
Seul le chancelier du Sénat – Laplace – s’est montré satisfait.
— Sire, déclare-t-il à Napoléon, je viens de proclamer, aux acclamations du peuple, empereur des Français, le héros à qui j’eus l’avantage, il y a vingt ans, d’ouvrir la carrière qu’il a parcourue avec tant de gloire et de bonheur pour la France.
Cependant, des fausses notes se font entendre. « Bonaparte, vous vous perdez, ose écrire Rouget de Lisle à l’Empereur, et, ce qu’il y a de pire, vous perdez la France avec vous ! »
— Le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle Majesté ! s’écrie dédaigneusement Paul-Louis Courier. Être Bonaparte et se faire roi !
— Ce n’est donc qu’un homme ordinaire ! soupire Beethoven. Et, d’un trait rageur, il biffe le sous-titre de sa troisième symphonie : « Buonaparte », puis trace ces mots : « Sinfonia eroica, composta per festiggiare il souvenire d’un grand’Uomo ». Pour Ludwig von Beethoven, le génie de la Révolution est mort !
Certains Parisiens ne s’y trompent pas non plus, mais c’est en riant qu’ils déclarent que la République mourait d’une « opération césarienne » :
Grands parents de la République,
Grands raisonneurs en politique
Dont je partage la douleur !
Venez assister en famille
Au grand convoi de votre fille
Morte en couches d’un empereur.
Cette naissance, dans la pensée du nouveau maître, devait se trouver fortifiée par la condamnation de Moreau et de Cadoudal. Si ce dernier – véritable Danton royaliste, selon le mot de Louis Madelin – revendiquait toutes les responsabilités de la conspiration, les proclamant même et tenant tête aux juges avec une faconde merveilleuse, Moreau affirmait seules ment, sans se départir d’une attitude dédaigneuse, avoir été « mis au courant » du complot, mais prétendait n’y avoir point trempé. Sa popularité pendant les débats éclatait à chaque instant. Un jour, il fut si acclamé, que
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