Bonaparte
Cadoudal s’écria :
— Si j’étais Moreau, je coucherais ce soir aux Tuileries.
Napoléon eût aimé que Moreau fût condamné, afin de pouvoir lui faire grâce. Or, à son réveil, le 10 juin, l’Empereur apprend que Cadoudal, Armand duc de Polignac, et une vingtaine de leurs complices sont condamnés à la peine de mort, mais Moreau – traitement d’un « voleur de mouchoir » – Polignac – le prince Jules – Léridan et Rolland, n’ont reçu qu’une peine de deux ans de prison. Napoléon est ulcéré. Des gens qui avaient conçu le projet de le faire prisonnier ! De l’emmener en Angleterre ! Qui en voulaient même à sa vie ! De vils assassins !
Tandis que, de méchante humeur, il travaille avec Talleyrand, Lavalette entre dans la pièce. Napoléon lui demande :
— Que fait-on chez ma femme ?
— Sire, on y pleure.
Tout à l’heure, Joséphine, appuyée par Mme de Rémusat, avait, en effet, demandé à son impérial époux d’épargner le duc de Polignac.
— Je ne puis faire grâce, leur avait-il expliqué, agacé, en marchant à travers la pièce. Vous ne voyez pas que ce parti royaliste est plein de jeunes imprudents qui recommenceront sans cesse, si on ne les contient par une forte leçon. Les Bourbons sont crédules, ils croient aux assurances que leur donnent certains intrigants, qui les trompent sur le véritable esprit public de la France, et ils m’enverront ici une foule de victimes.
Mme de Rémusat pleurait.
— Vous plaidez la cause de ceux qui venaient pour m’assassiner !
S’il faut en croire la dame d’honneur, elle osa lui répéter ce qu’elle venait de dire à Joséphine : elle avait peint l’impression que ces jugements avaient produit à Paris, elle avait rappelé la mort du duc d’Enghien et représenté « l’élévation au trône impérial tout environnée d’exécutions sanglantes et l’effroi général qui serait apaisé par un acte de clémence que, du moins, on pourrait citer à côté de tant de sévérités ». Joséphine, tout attendrie, approuvait. Sans doute ces arguments parurent-ils justes à Napoléon, car fort mécontent – de lui-même, peut-être... – il interdit aux deux femmes de « l’étourdir davantage. » Ainsi qu’il l’avait expliqué au grand juge Régnier :
— Nous aurions mis dans l’oubli et étouffé l’éclat de cette conspiration, comme nous l’avons fait de quelques autres, si, par le caractère particulier qu’elle nous a paru avoir, par l’intervention d’hommes couverts du masque de grands services, nous n’y avions vu un danger réel pour la destinée et l’intérêt de la Nation.
Cependant, Joséphine ne se considère point comme battue et, par deux fois, va voir son mari. Elle possède le don des larmes, et parvient à ses fins. Mme de Polignac introduite dans le cabinet impérial, se jette à genoux, s’évanouit – à cette époque les dames semblaient posséder la faculté de perdre connaissance à volonté... – et obtient la grâce de son mari. Hortense se fait accorder la vie de Lajolais, et Caroline celle de Bouvet de Lozier. Emporté par son élan, l’Empereur gracie également le marquis de Rivière, Roussillon, Rochette et Seillard.
— Ils sont bien coupables, se contente-t-il de déclarer, les princes qui compromettent la vie de leurs plus fidèles serviteurs.
Et Moreau ? Au cours du procès, le bavard Bouvet de Lozier, qui sitôt « dépendu » avait accusé Moreau, s’est rétracté.
— Pouvais-je prévoir que devant la justice il démentirait ses premières déclarations ? s’exclame Napoléon devant Bourrienne. Il y a là un enchaînement de circonstances au-dessus des prévisions humaines ; j’ai dû consentir à ce qu’on arrêtât Moreau quand j’ai eu la preuve de ses conférences avec Pichegru ; l’Angleterre n’a-t-elle pas envoyé des assassins ?
— Sire, répond Bourrienne rentré en grâce à cette époque, voulez-vous me permettre de vous rappeler la conversation que vous eûtes en ma présence avec M. Fox et à la suite de laquelle vous me dîtes : « Bourrienne, je suis bien aise d’avoir appris de la bouche d’un homme d’honneur que le gouvernement anglais est incapable de faire attenter à ma vie ; j’aime à estimer mes ennemis. »
— Ah bah ! Vous êtes bon ! Parbleu, je ne dis pas qu’un ministre anglais ait fait venir un assassin et qu’il lui ait dit : « Tiens, voilà de l’or et un poignard, va-t’en tuer le Premier consul. » Non, je
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