Bonaparte
pauvre Thérèse, je serais bien satisfait si j’arrivais au grade de commandant. Je n’en demanderais pas davantage.
Du Teil met bientôt deux cents hommes sous ses ordres et le charge de construire au polygone « plusieurs ouvrages qui exigent de grands calculs ». « Cette marque inouïe de faveur, fera savoir avec orgueil Buonaparte à son oncle Fesch, a un peu irrité contre moi les capitaines qui prétendent que c’est leur faire tort que de charger un lieutenant d’une besogne si essentielle... Mes camarades aussi montrent un peu de jalousie, mais tout cela se dissipe. »
Plus tard – bien plus tard – sur son lit d’agonie, il tracera ces lignes du quatrième codicille de son testament : « Au fils ou au petit-fils du baron du Teil, lieutenant général d’artillerie, ancien seigneur de Saint-André, qui, avant la Révolution, avait commandé l’école d’Auxonne, nous léguons la somme de cent mille francs, en reconnaissance pour les soins que ce brave général a pris de nous lorsque nous étions sous ses ordres. »
Avoir vingt ans et vivre en 1789 ! Quoi de plus exaltant ? Cependant, pour l’instant, Buonaparte doit réprimer l’agitation naissante... et cette agitation commence, en Bourgogne, par une affaire de vin. L’abbaye de Cîteaux cultive les célèbres vignobles de Clos-Vougeot. Puisque la liberté est à l’ordre du jour, les moines demandent qu’une part de la précieuse récolte – due à leur labeur et réservée alors à quelques privilégiés – leur soit attribuée. Le Supérieur refuse, les moines s’insurgent et l’abbé appelle les troupes à son secours. Buonaparte, qui se trouve alors avec son détachement à Seurre – il loge rue aux Oies, aujourd’hui rue Dulac – se met en route et, de sa propre initiative, donne raison au chef de la Congrégation, fait arrêter les moines les plus excités, et les met au cachot.
À Paris, la Révolution, en prenant la Bastille, commence à faire le lit du futur empereur. « L’égalité qui devait m’élever me séduisit », dira-t-il... mais cette liberté ne lui paraît séduisante que dans le cas où elle pourrait être mise au service de son pays « occupé » par les Français.
Pour l’instant – il l’écrit le 15 juillet à l’archidiacre Lucien – les nouvelles qu’il reçoit de Paris lui semblent « étonnantes et faites singulièrement pour alarmer ». Il réprouve l’anarchie. En soldat discipliné, il n’admet pas l’insurrection surtout lorsqu’elle se produit dans l’armée. C’est alors de la rébellion et il a assisté avec peine à la révolte des canonniers du régiment de la Fère. Ils sont venus réclamer les économies faites sur les allocations attribuées au régiment et le baron du Teil a dû composer avec les meneurs. Mais les époques troublées, les effervescences populaires ne nuisent pas à l’avancement : « Les révolutions, écrit-il, sont un bon temps pour les militaires qui ont de l’esprit et du courage. »
S’il n’apprécie pas les mutineries et approuve les répressions, il n’applaudit pas moins la transformation des États généraux en Assemblée nationale. Il n’a pas pu cacher sa joie en apprenant les décisions prises au cours de la nuit délirante du 4 août : l’abolition des privilèges qui annule du même coup le décret pris par le ministre de la Guerre – le comte de Ségur – en 1780, décret interdisant aux roturiers la carrière des armes, et limitant « les petits nobles » aux cadres inférieurs. Tous les espoirs sont donc permis au « petit noble » Buonaparte, mais il ne pense nullement à faire carrière en France. Il n’a que la Corse en tête et dès qu’il peut prendre son second congé de semestre, annonce son départ pour Ajaccio.
Le 12 septembre 1789, il passe par Valence et va voir d’anciens amis dont l’abbé de Tardivon qui lui aurait dit en souriant :
— Du train que prennent les choses, chacun peut devenir roi à son tour ; si vous devenez roi, Monsieur de Buonaparte, accommodez-vous de la religion chrétienne, vous vous en trouverez bien.
Pour la troisième fois Napoleone revient dans son île. Il va y vivre quinze mois. A part Maria-Anna, demeurée à l’École de Saint-Cyr, toute la famille est maintenant réunie. Joseph a été reçu avocat, mais Lucien et Louis se trouvent sans occupation. Chacun est dans l’inquiétude et dans l’attente des événements que la Révolution ne va pas manquer de déclencher.
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