Bonaparte
troubles ont déjà éclaté dans l’île. Trois tendances se partagent les opinions corses : le parti royaliste – celui du gouvernement et de l’administration française —, le parti national, fidèle à Pasquale Paoli dont on espère le retour – il est exilé en Angleterre –, enfin le parti populaire – demain républicain, avec Salicetti à sa tête. Pour eux la Corse doit s’intégrer définitivement à la France. Ils ont compris que s’ouvre une ère nouvelle. Napoleone estime lui aussi que la liberté de l’île ne pourra éclore hors de la nouvelle France et, faisant taire « son paolisme », il se rallie au point de vue des « avancés ». II va tenter de dissiper la torpeur attardée de ses compatriotes.
— Comment, s’exclame-t-il, quand partout s’organisent en France des Gardes nationales, la Corse ne fait même pas mine d’en organiser une ! Quand partout la cocarde tricolore a remplacé les couleurs de l’ancien pouvoir, les troupes qu’on rencontre portent encore la cocarde blanche ! Quand, en prévision de nouvelles élections, partout les électeurs de France se réunissent ou se constituent en clubs et en comités, la Corse reste inerte sous le joug de ses administrateurs d’Ajaccio !
Joseph a été nommé commissaire au comité des « Trente-six », tandis que Napoleone nourrit le secret désir de prendre le commandement des milices communales – ce désir, on le sait, ne devait pas être réalisé. Cependant, Buttafuoco – représentant de la noblesse de Corse aux États généraux – demande au maréchal de camp Gaffori, son beau-frère, de remettre un peu d’ordre dans Ajaccio, trop sollicité à son gré par le parti de Salicetti, « cette innovation malsaine », ainsi qu’il appelle les opinions des républicains. On interdit la création du Comité central et Napoleone Buonaparte, le soir venu, convoque la population dans l’église Saint-François pour lui lire cette adresse qu’il va envoyer à l’Assemblée nationale :
— Nous avons, nos Seigneurs, tout perdu, en perdant la liberté, et nous n’avons trouvé dans le titre de vos compatriotes que l’avilissement et la tyrannie. Un peuple immense attend de vous son bonheur. Nous en faisons partie. Nous sommes plus vexés que lui. Jetez un coup d’oeil sur nous, ou nous périssons.
Le 5 novembre 1789, Napoleone se trouve à Bastia pour conférer avec les officiers municipaux sur l’opportunité de la formation d’une garde nationale, lorsque des troubles éclatent – à l’instar des journées de Paris, qui, le mois précédent, ont fait de Louis XVI le prisonnier de la Révolution. Les troupes gouvernementales reçoivent l’ordre de charger à travers la ville. L’échauffourée dégénère en fusillade, et les habitants de Bastia se ruent sur la citadelle pour la piller.
À la suite de ces incidents, les patriotes envoient une lettre aux députés corses siégeant à l’Assemblée, leur demandant d’être « régis par la même constitution que les Français ». L’émotion, à la Constituante, est grande en apprenant cette anomalie qu’elle ignorait, et les représentants décident que la Corse fera désormais partie de « l’Empire français ». À cette nouvelle, la joie éclate à Ajaccio parmi les fidèles de Salicetti et de Cesari. Buonaparte fait tendre sur la chère Casa une banderole portant ces mots : « Vive la Nation ! Vive Paoli ! Vive Mirabeau ! »
Il est heureux. On le voit ensuite participer activement aux élections municipales. Parmi les nouveaux élus, le maire est parent de la famille Buonaparte. L’un de ses meilleurs amis, Jean-Jérôme Lévie, est également désigné comme conseiller, tandis que Joseph est nommé officier municipal. Napoleone voit l’avenir en rose. Une inconnue demeure cependant : quelle sera l’attitude de Paoli dont on annonce le prochain retour en Corse ?
Se trouvant encore à Auxonne, Bonaparte avait écrit à Paoli réfugié à Londres : « Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flo4s de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. Les cris du mourant, les gémissements de l’opprimé, les larmes du désespoir environnèrent mon berceau dès ma naissance. Vous quittâtes notre île, et avec vous, disparut l’espérance du bonheur : l’esclavage fut le prix de notre soumission. Accablé sous la triple chaîne du soldat, du légiste et du percepteur d’impôts,
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