Bonaparte
agréable souvenir pour le service que j’en reçus dans cette espèce d’échauffourée. »
Parfois, il emmène avec lui son frère Louis dont il commence à être très fier : « Il a pris un petit ton français, propre, leste, dira Napoleone, il entre dans une société, salue avec grâce, fait les questions d’usage avec le sérieux et une dignité de trente ans. »
Depuis le début d’avril 1791, de nouveaux règlements régissent l’armée. Le régiment de La Fère ne porte plus qu’un numéro. Il est devenu le 1 er Régiment d’Artillerie, mais Buonaparte va devoir le quitter. Il est affecté – le premier juin – au 4 e Régiment d’Artillerie cantonné, à son tour, à Valence. Il reçoit le grade de premier lieutenant et la solde de cent livres au lieu de quatre-vingt-treize—
Deux semaines plus tard, il reprend – avec Louis cette fois – le chemin de la vallée du Rhône.
À Valence, le « premier lieutenant » retrouve avec joie l’hospitalité de Mlle Bou qui va soulager le jeune officier de ses charges domestiques envers Louis. Tandis que Buonaparte rejoint ses camarades et prend avec eux ses repas aux Trois Pigeons, rue Perollerie, le futur roi de Hollande est servi par Mlle Bou dans l’arrière-cuisine du café. Le jeune garçon – il a seulement treize ans – a reçu du colonel l’autorisation de porter l’uniforme du régiment, mais sans épaulettes. Un petit galon d’argent le différencie d’avec les soldats – appelés maintenant canonniers, tandis que les bas officiers sont devenus, depuis le 1 er avril, des sous-officiers. « Louis était fort joli ! rapportera Napoléon. Toutes les femmes le baisotaient. En jouant aux cartes, il perdit un jour quatre francs. Je ne lui donnais guère que six francs par mois pour ses menus plaisirs. Je lui conseillai de dire à la maîtresse de maison :
— Madame, voulez-vous que je sois de moitié avec vous ?
Elle y consentit. Depuis ce jour, il gagna régulièrement ses trente ou quarante sous. On savait qu’elle trichait... »
Les deux frères aiment aller boire de temps en temps quelques tasses de café chez une limonadière qui leur fait crédit. Devenu empereur, Napoléon dira un jour à son ancien camarade Montalivet :
— Je crains, mon cher, de n’avoir pas exactement payé toutes les tasses de café que j’ai bues chez elle ; voici cinquante louis que vous lui ferez passer de ma part.
Buonaparte a repris le chemin de la librairie de la Maison des Têtes. Là, il trouve les gazettes de Paris... Des gazettes qui sentent la poudre. Il apprend ainsi – avec colère – la fuite de la famille royale. Cette fuite qui fera naître le parti républicain que le jeune officier déclare alors « impossible en France ». Quelques jours plus tard – le 3 juillet – vingt-trois sociétés populaires, venant de l’Ardèche, de la Drôme et de l’Isère, se réunissent à Valence afin d’aligner leur attitude à la suite de l’arrestation du roi à Varennes et de son retour à Paris. Napoleone, membre de la Société des Amis de la Constitution, société locale sans doute plus ou moins franc-maçonne, y assiste et s’indigne contre Bouillé qu’il traite « d’infâme général » et de « complice de l’enlèvement de Louis XVI » – c’était, on le sait, la formule que l’on avait trouvée spontanément pour ne pas imputer au roi la faute d’avoir abandonné la nation. Voici le jeune lieutenant tout exalté maintenant par les idées nouvelles : « S’endormir la cervelle pleine de la chose publique et le coeur ému des personnes que l’on estime et que l’on a un regret sincère d’avoir quittées, c’est une volupté que les grands coeurs seuls connaissent »...
Événement important dans la vie du futur chef d’État : le 14 juillet 1791, au Champ-de-Mars d’Auxonne, il prête le serment civique « à la Nation, à la Loi et au Roi ». Il n’hésite plus maintenant à embrasser la cause de la Révolution. « Jusque-là, avouera-t-il, si j’eusse reçu l’ordre de tourner mes canons contre le peuple, je ne doute pas que l’habitude, le préjugé, l’éducation, le nom du roi, ne m’eussent porté à obéir ; mais le serment national, une fois prêté, c’eût été fini, je n’eusse plus connu que la nation. Mes penchants naturels se trouvaient alors en harmonie avec mes devoirs et s’arrangeaient à merveille de toute la métaphysique de l’Assemblée. »
Plusieurs de ses camarades ne
Weitere Kostenlose Bücher