Bonaparte
amour, et qu’Eugénie aura toujours pour toi, en plus de l’estime, le plus tendre amour pour toi. Tout ce que tu me dis sur celui que je pourrais aimer est inutile : tu sais bien que je ne puis aimer que toi. C’est toi seul, oh ! mon bien-aimé, à qui je dirai toute ma vie : « Je t’adore ».
En dépit de l’amour que lui voue sa fiancée, Buonaparte est retombé dans son marasme. Ses lettres reflètent son état d’âme. Si Désirée en aime un autre, qu’elle n’hésite pas à abandonner le pauvre petit général sans brigade ! Qu’elle ne contraigne pas son âme ! Qu’elle ne s’impose pas de devoirs. Pauvre Désirée ! Elle aime avec fraîcheur, franchise et pureté et comprend mal les réactions pessimistes de son « amant » et ses drames de conscience. Aussi continue-t-elle à jurer à Buonaparte qu’elle l’aime de toutes ses forces. Malheureuse loin de lui, elle le supplie de l’aimer toujours comme elle l’aime : « c’est-à-dire autant qu’on peut aimer... »
Mais, ces déclarations ne rendent nullement à Napoleone son courage. En ce même début du mois d’août, il écrit encore à Joseph pour lui ouvrir son coeur : un coeur désabusé comme il ne le fut – et ne le sera jamais. Affirmant être « très peu attaché à la vie », il explique qu’il est constamment dans la situation d’âme où l’on se trouve la veille d’une bataille, convaincu par sentiment que lorsque la mort y est tapie pour tout terminer, s’inquiéter est folie. Il envisage, sinon le suicide, du moins – il l’affirme – il ne s’écartera pas du chemin si la mort devait se présenter à lui : « et si cela continue, mon ami, je finirai par ne pas me détourner lorsque passe une voiture ».
Joseph pourrait être surpris – on le serait à moins –, aussi Buonaparte précise : « Ma raison en est quelquefois étonnée, mais c’est la pente que le spectacle moral de ce pays et l’habitude des hasards ont produite sur moi. »
Il espère cependant que « dans le mouvement perpétuel des gens en place », quelqu’un finira par s’intéresser à lui. Cela paraît d’autant moins probable que, le 16 août, Napoleone reçoit une véritable mise en demeure lui enjoignant de partir pour la Vendée. Le ton est comminatoire : « J’ai tout lieu de présumer que vous êtes en état de vous mettre en route et je vous invite à vous rendre, au plus tôt, à votre poste où votre présence devient de jour en jour plus nécessaire. Si votre santé ne vous permet pas de servir activement, marquez-le-moi et je proposerai votre remplacement au Comité. »
C’est sans doute après avoir reçu cette sommation qu’il se rend le 18 août 1795 au Comité de Salut public. La chance tournerait-elle ? Il parvient à se faire écouter et explique quelle pourrait être l’action de l’armée d’Italie si l’on voulait bien suivre son plan.
Doulcet de Pontécoulant, nouveau ministre de la Guerre, écoute avec attention son exposé et déclare :
— Général, vos idées sont brillantes et hardies, mais elles demandent à être examinées avec le calme de la réflexion avant de songer à leur exécution. Veuillez donc prendre votre temps et, à tête reposée, mei faire un rapport que je soumettrai au Comité.
— Du temps ? s’exclame Buonaparte, il n’en est pas besoin, mon plan est tellement mûri dans ma tête qu’une demi-heure peut me suffire à en développer tous les détails. Une plume, deux feuilles de papier, voilà tout ce que je réclame de votre indulgence.
On le lui donne et, à l’instant même, sur le bout de la table du Comité, il trace d’une écriture rapide et – bien sûr – à peine déchiffrable, tout le plan de la campagne d’Italie, qu’il réalisera huit mois plus tard :
— Il faut prendre la ligne de Borghetto qui est courte, bien appuyée et facile à défendre.
On lui demande ! d’établir lui-même la lettre destinée à Kellermann, alors commandant l’armée d’Italie. « Je fis la lettre, racontera-t-il, et gourmandai Kellermann pour les fautes qu’il avait commises et le parti qu’il proposait, indiquai la position qu’il devait prendre. Et comme la lettre devait être signée par le président du Comité, je l’écrivis du ton que je pourrais l’écrire aujourd’hui, ce qui plut beaucoup au Comité. » Il est également entendu par Sieyès et Letourneur. II les séduit, et le jeune général est engagé – hélas point pour l’armée d’Italie
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