Bonaparte
:
— Vous êtes mis en réquisition du Comité pour contribuer de votre zèle, de vos lumières, aux travaux des plans de campagne et des opérations de l’armée de terre.
Le voici donc attaché au bureau topographique du Comité de Salut public. Cela ne l’amuse guère et c’est sans enthousiasme qu’il mande ces nouvelles à son frère. Il envisage même alors de s’expatrier et de prendre du service à Constantinople, « comme général d’artillerie, envoyé par le gouvernement pour organiser l’artillerie du Grand Seigneur, avec un bon traitement et un titre d’envoyé très flatteur. » Il se voit déjà parti pour la Porte Ottomane : « Je te ferai nommer consul », promet-il à Joseph...
Mais Pontécoulant, qui a paru l’apprécier, le laissera-t-il s’éloigner ?
Le 30 août, il reçoit une nouvelle lettre de Désirée : « Ne crois pas que je sois heureuse – puis-je l’être loin de toi ? Le souvenir de nos charmantes promenades est sans cesse présent à mon coeur, ainsi que le bois au funeste pressentiment... » Ce bois où sans doute les deux fiancés avaient évoqué les obstacles qui semblaient encore devoir les empêcher de se marier. « Hélas, il n’était que trop fondé, poursuit-elle, puisque, nous devons être séparés si longtemps, c’est le destin qui l’a voulu ainsi... »
Dès le lendemain, Napoleone lui répond : « J’ai reçu ta charmante lettre, ma bonne 1 amie, elle me fait le plaisir que m’inspire toujours ton souvenir. Souvent, au milieu des bruyants plaisirs de cette immense commune, je pense à mon aimable Eugénie. Mon idée franchit les mers, brave les tourments attachés à la distance et court se reposer auprès de toi... »
Il a repris une manière d’existence mondaine. Hormis les heures consacrées au travail – « depuis deux heures après-midi à quatre heures et depuis une heure après minuit à deux heures » –, ses nouvelles fonctions lui ont permis de fréquenter quelques salons à la mode. Il est ébloui et écrit à Joseph : « Le luxe, le plaisir et les arts, reprennent d’une manière 1 étonnante. Les voitures, les élégants reparaissent, ou plutôt, ils ne se souviennent plus que comme d’un long songe, qu’ils aient jamais cessé de briller... »
« Les femmes sont partout, lui avait-il annoncé quelque temps auparavant : aux spectacles, aux promenades, aux bibliothèques... Une femme a besoin de six mois de Paris pour connaître ce qui lui est dû et quel est son empire. » Il n’ignore donc pas à quel point il doit cultiver ses relations féminines. Aussi est-il allé revoir Thérésia Tallien qu’il avait rencontrée autrefois. Il lui a exposé ses soucis vestimentaires de général en disponibilité. La toute-puissante Notre-Dame de Thermidor ne pourrait-elle pas lui obtenir un uniforme ?... Ou au moins une paire de culottes ? Thérésia a trouvé plaisant de s’occuper de l’affaire, et a recommandé son protégé à l’ordonnateur Lefèvre, de la 17 ème division. Et elle accueille quelques jours plus tard Napoleone en lui lançant à travers son salon ces mots, dont le futur empereur se souviendra plus tard :
— Eh bien, mon ami, vous les avez vos culottes !
Est-ce en pensant à cette scène qu’il parle avec quelque restriction de Mme Tallien à Désirée : « J’ai dîné avant-hier chez Mme Tallien. Elle est toujours assez aimable, mais je ne sais par quelle fatalité ses charmes se sont effacés à mes yeux. Elle a un peu vieilli. Elle t’aimerait si elle te connaissait. J’ai remarqué dans ce dîner une coterie d’une vingtaine de femmes. Je ne 1 vois jamais chez elle que des femmes plus laides et plus âgées. Il y a ici, ma bonne amie, un peu de mouvement dans les têtes, mais tout est du reste fort tranquille. Il faut espérer que cela ira bien. »
Il lui trace un tableau de Paris qui risque d’inquiéter Désirée. Dans ce tourbillon de plaisirs, le souvenir de sa fiancée va-t-il pouvoir se maintenir ? Devinant peut-être son inquiétude, il prend les devants : « Quant à moi, je t’assure que si je pouvais être heureux loin de toi, je le serais. J’ai des amis, beaucoup de considération, des fêtes, des parties. Mais, loin de ma tendre Eugénie, il peut exister pour moi quelque plaisir, quelque jouissance, mais pas de bonheur. Jouissons donc bien vite, ma bonne amie, hâtons-nous d’être heureux, le temps vole, les saisons se renouvellent et la vieillesse arrive. Je t’embrasse un
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