Bonaparte
pas ainsi qu’on fait une guerre civile...
Napoleone est apprivoisé. Il aide la chanoinesse à faire un bouquet de bleuets et accepte de participer aux petits jeux. « Par suite d’un gage touché, racontera encore la jeune fille, je vis à genoux, devant moi, celui qui vit bientôt l’Europe aux siens. Nous dansâmes des rondes. Notre compatriote Junot, alors aide de camp du général et, depuis, général et duc d’Abrantès, nous beugla la ronde si connue : « Mon berger n’est-il pas drôle ? » , et ce fut une très bruyante joie. »
Le 23 mai, en mettant Buonaparte et son petit état-major en voiture, M. de Marmont lui aurait glissé ce conseil :
— Donnez le temps à cette révolution de s’assagir, vous ne savez pas ce qui peut vous arriver en traversant le faubourg Saint-Germain.
Un conseil peut-être apocryphe... Offrir son épée aux royalistes ? Buonaparte n’y pensait pas plus que le faubourg Saint-Germain ne pensait à lui. Son nom ne disait encore rien à personne !
Napoleone roule maintenant vers Paris où il va entrer dans l’Histoire...
Buonaparte et ses compagnons débarquant dans la capitale le 25 mai 1795, vont d’abord s’installer 11, rue des Fossés-Montmartre, à l’hôtel de la Liberté. Ils ont trouvé la ville se réveillant à peine d’une nouvelle « journée » tumultueuse. Paris a faim... Il faudra bientôt, pour subsister un seul jour, plus de « papier » qu’il ne fallait autrefois de métal pour vivre une année. On verra le louis d’or monter de cent francs par heure. Aussi les « ventres creux », cinq jours auparavant, ont-ils marché sur les « ventres pourris », c’est-à-dire les députés siégeant aux Tuileries. Le premier prairial, la foule a envahi la Convention et massacré le député Féraud qui essayait de s’interposer. Boissy d’Anglas présidait. Tout en bégayant, il affirmait si souvent que les « subsistances étaient assurées » – alors que l’on mourait de faim – qu’il avait été appelé Boissy-Famine. C’est principalement en saluant, froidement, ce premier prairial, la tête de Féraud, qu’il passera à la postérité.
L’émeute a proscrit les derniers Jacobins – tel Ricord, le meilleur appui de Buonaparte. Aussi Napoleone va-t-il rendre visite à Aubry, le ministre de la Guerre. Celui-ci a dû, je pense, avant de recevoir Napoleone consulter la fiche concernant « Buonaparte (breveté) » et a pu lire ces mots : « ayant un peu trop d’ambition et d’intrigue pour son avancement ». Il estime bien rapide la carrière de ce petit protégé de Robespierre et ne lui offre, en attendant son départ pour l’Ouest, qu’une vague fonction à l’Etat-Major.
Le Ministre doit être tout heureux de tenir la dragée haute à ce général artilleur de vingt-cinq ans – qui, au surplus, fait des fautes de français « assez grossières » – alors que lui-même, également artilleur, n’a pas encore, à quarante-cinq ans, dépassé le grade de capitaine.
— Citoyen représentant, déclare Buonaparte, on vieillit vite sur le champ de bataille et j’en arrive !
Ce « petit Italien » – au surplus jacobin, du moins il passe pour tel – a fait une fâcheuse impression. Rien n’est devenu guerrier dans son allure. Il est toujours pâle, frêle, osseux, le teint jaune, – laid, dira même la future duchesse d’Abrantès. Ses mains sont « maigres, longues et noires ». Laure se souviendra plus tard de cette pauvre silhouette traversant d’un pas « assez gauche et incertain » la cour de l’hôtel de la Tranquillité, où demeuraient les Permon, « ayant un mauvais chapeau rond enfoncé sur ses yeux, et laissant échapper ses deux oreilles de chien, mal poudrées ». Il se refuse à porter des gants, parce que, dit-il, « c’est une dépense inutile ». Ses bottes sont grossièrement taillées, presque jamais cirées. On sourit quand on voit cette ancienne créature de Robespierre harceler les bureaux, « frapper à toutes les portes », contant à tous ses projets, injuriant à mi-voix les Muscadins qu’il traite de « mauvais Français », et rapportant les injustices dont il se prétend victime. Il se dit malade – son congé de maladie expire d’ailleurs le 15 juillet – et, en attendant, il multiplie les démarches pour éviter de rejoindre son poste.
Le jeune artilleur – il l’écrira à Joseph le 13 juin – ne parvient pas à accepter l’idée de ce commandement de l’armée de Vendée en
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