Bonaparte
bataillon ayant refusé, avant d’avoir reçu sa solde, de quitter Nice pour se rendre à son poste, se trouve dissous et réparti dans les autres corps. « Cet acte d’autorité, nous dit encore Masséna, imprima tout d’abord du respect aux troupes pour l’autorité du jeune général. »
Sur la place de la République, pour donner une âme à son armée, il passe ses troupes en revue. Il circule entre les rangs, interroge ses hommes familièrement et les stimule en leur promettant que bientôt ils pourront dire avec orgueil : « J’étais de l’armée d’Italie. » Puis, remontant à cheval, il lance des phrases lapidaires qui vont devenir immortelles :
— Soldats, vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner... Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers, excitent l’admiration de la France ; elle a les yeux tournés sur vos misères. Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout : c’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons !
Certes les chefs républicains savaient s’adresser à leurs troupes, mais jamais aucun n’avait encore employé des mots qui enthousiasment les coeurs et résonnent dans le souvenir.
« Mes soldats me marquent une confiance qui ne s’exprime pas », écrit-il. Est-ce l’amour qui lui donne cette flamme ? Est-ce la pensée de Joséphine qui ne le quitte point ? Il le lui a écrit le 30 en adressant cette fois-ci sa lettre « à la citoyenne Bonaparte, chez la citoyenne Beauharnais »... : « Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon coeur, occupe mon esprit, absorbe ma pensée... »
Chaque nuit, il rêve qu’il la serre dans ses bras : « Je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie. » Il n’ignore pas le genre d’existence que la créole, « bâtie de dentelle et de gaze », a pu mener. Lui est-elle fidèle ? Bien que « la Nature », affirme-t-il, lui ait fait « l’âme forte et décidée », les « craintes » qui envahissent son coeur « le rendent malheureux ».
Il a reproché à sa femme la froideur de ses lettres. Aussi, trace-t-elle avec son sang – du moins elle affirme que c’est le sien... – quelques lignes brûlantes et érotiques.
« Y penses-tu, mon adorable amie, de m’écrire en ces termes ? lui répond-il. Crois-tu que ma position n’est pas déjà assez cruelle, sans encore accroître mes regrets, et bouleverser mon âme ? Quel style ! Quels sentiments que ceux que tu peins ! Ils sont de feu. Ils brûlent mon pauvre coeur ! »
Dans sa lettre il le lui répète : elle est son unique pensée. Lorsque « le tracas des affaires » l’ennuie, lorsque les hommes le dégoûtent, lorsqu’il se sent prêt « à maudire la vie », il met la main sur son coeur :
« Ton portrait y bat ; je le regarde... »
Au son des fanfares, le 2 avril 1796, l’épopée commence : Bonaparte quitte Nice par la route de la Corniche – alors un simple chemin. Il a le sourire. Son optimisme s’explique par le fait – il le révélera plus tard – que parmi les membres des états-majors ennemis se trouvent plusieurs officiers qui lui sont « dévoués et vendus ».
— Par eux, j’ai su non seulement leurs plans, mais encore leurs projets.
Voici qui ternit un peu la légende...
Ce même soir, il passe la nuit à Menton, au 3 de l’actuelle rue Bréa. Le lendemain il sera à Port-Maurice, et le surlendemain à Albenga où se trouve son quartier général. Le voici déjà à vingt lieues de Menton. « Les deux armées se remuent, annonce-t-il à sa femme, nous cherchons à nous tromper. Au plus habile la victoire ! » Il ajoute – et on devine son sourire : « Je suis assez content de Beaulieu ; il manoeuvre bien, il est plus fort que son prédécesseur. Je le battrai, j’espère, de la belle manière... » Beaulieu a en effet divisé ses forces, tandis que l’armée française se trouve placée de manière à se fondre rapidement en un seul bloc et à tomber en masse sur l’un ou l’autre des corps ennemis. Cela se passera ainsi le 12 avril à Montenotte – le Mont de la Nuit, situé à quatre lieues au nord-ouest de Savone.
— Ayez l’oeil ouvert sur Montenotte, avait ordonné
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