Bonaparte
attendent le marié depuis deux heures... Barras regarde la pendule, inquiet. Si Buonaparte avait changé d’avis ? Les folles dépenses de la créole vont-elles lui retomber sur les bras ? Soudain, on entend un bruit de sabre résonner dans l’escalier de pierre. La porte s’ouvre. C’est Buonaparte, suivi de son aide de camp et témoin Lemarois. Sans prendre la peine de s’excuser, il fonce sur le commissaire, le secoue pour le réveiller :
— Allons donc, mariez-nous vite !
Tout ensommeillé, Collin annonce cet extravagant acte de mariage où l’un des témoins – Lemarois – n’est point majeur et par conséquent ne peut être témoin, où le remplaçant du maire n’a aucune qualité pour unir légalement deux conjoints, où enfin le marié se vieillit de dix-huit mois – ce qui le fait naître sujet génois – et où la mariée se rajeunit avec coquetterie de quatre années. Napoléon indiquera plus tard le procédé employé :
— On s’est servi pour l’impératrice Joséphine de l’acte de naissance de sa soeur qui était morte, parce qu’elle avait trois ou quatre ans de moins qu’elle et qu’elle voulait se rajeunir.
Pour lui, il ne s’agit point de galanterie vis-à-vis de sa femme :
— N’ayant pas mon acte de naissance, expliquera-t-il, on se servit de celui de mon frère aîné qui était à Paris pour quelque affaire.
Cinq minutes plus tard, on se dit bonsoir sur le trottoir de la rue d’Antin. Il fait plus froid, le thermomètre est descendu un peu au-dessous de zéro. Joséphine monte dans l’équipage de son mari et, en regagnant avec lui son petit hôtel de la rue Chantereine, entre à son tour dans l’Histoire...
En annonçant son mariage au président du Directoire, Buonaparte précisera qu’il voyait là un nouveau lien qui l’attacherait désormais à la patrie ; « c’est un gage de plus de ma ferme résolution de ne trouver de salut que dans la République... »
Est-ce parce que la jolie vicomtesse a été tout récemment la maîtresse de l’un des directeurs du nouveau régime qu’elle peut être considérée comme « un gage » du républicanisme de son époux ? Les
« cinq rois » – et surtout Barras – durent bien rire...
« Vous êtes donc marié, écrira Désirée à Buonaparte. Il n’est plus permis à la pauvre Eugénie de vous aimer, de penser à vous, et vous disiez que vous m’aimiez, et un retard de lettre vous brouille sans retour avec celle que vous nommiez votre chère Eugénie, vous engage à vous marier avec une autre. Vous, marié ! Je ne puis m’accoutumer à cette idée, elle me tue. Je ne puis la supporter. Je vous ferai voir que je suis plus fidèle à mes engagements et malgré que vous ayez rompu les liens qui nous unissaient, jamais je ne m’engagerai avec un autre, jamais je ne me marierai. Mes malheurs m’apprennent à connaître les hommes et à me méfier de mon coeur. Je vous fis demander par votre frère mon portrait, je vous renouvelle ma demande ; il doit vous être bien indifférent, surtout à présent que vous possédez celui d’une femme, sans doute chérie. La comparaison que vous devez faire ne peut être qu’à mon désavantage, votre femme étant supérieure en tout à la pauvre Eugénie, qui peut-être ne la surpassait que par son extrême attachement pour vous. Après un an d’absence, moi qui croyais toucher au bonheur, qui espérais vous revoir bientôt et devenir la plus heureuse des femmes en vous épousant... je ne désire que la mort. La vie est un supplice affreux pour moi, depuis que je ne peux plus vous la consacrer. »
Tendre et douce Désirée qui souhaite la mort, qui ne se mariera jamais... Or, deux années et cinq mois plus tard, Désirée épousera un ambassadeur de France, l’ancien sergent Bellejambe, autrement dit le général Bernadotte, dont la carrière s’annonçait alors aussi belle que celle de Napoleone. Nous les retrouverons lorsqu’ils deviendront prince et princesse de Porte-Corvo, par la grâce de S.M. Napoléon I er , et, un jour, roi et reine de Suède et de Norvège.
Quelle belle revanche pour la petite délaissée !...
VII
LA GUERRE ET L’AMOUR
En amour, la seule victoire, c’est la fuite.
N APOLÉON .
— P ATIENTE , ma bonne amie, nous aurons le temps de faire l’amour après la victoire.
Et, penché sur la table ronde du petit salon-salle à manger de l’hôtel de la rue Chantereine, une table en acajou dont les pans peuvent se rabattre, une
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