Bonaparte
entre les mains du vainqueur.
De son côté, Bonaparte fait expédier par Berthier le contrordre de l’attaque... Le général-baron de la Tour ayant alors demandé du café, Bonaparte ordonne qu’on en cherche dans la ville. On le voit tirer lui-même deux tasses de porcelaine d’un petit nécessaire de voyage qui se trouve sur un sofa près de son épée. Costa de Beauregard remarque avec étonnement que le général français ne possède pas de cuillers à café en argent. On doit utiliser « des cuillers en cuivre jaune, à l’usage des soldats ».
Après la signature, Bonaparte présente aux Savoyards les généraux Murat, Marmont, Despinoy, et deux ou trois officiers de l’État-major. Salicetti, commissaire du Gouvernement, n’arrivera que lorsque tout sera terminé... Puis l’on passe dans une salle à manger où a été préparée « une espèce de medianoche sur une table chargée d’une multitude de flambeaux ». Le plat principal surprend encore Costa de Beauregard : « une jatte de bouillon clair. Il y avait, en plus, deux ou trois plats de viande grossière, quelques entremets fort médiocres et du pain de munition »... L’entremets « fort médiocre » se composait de gimblettes offertes par les religieuses de Cherasco. Le tout fut arrosé de vin de l’Astéran.
À l’aube, les plénipotentiaires regagnent Turin, escortés par des dragons français : « Le jour éclairait alors les troupes bivouaquées de l’avant-garde française, racontera Costa. Tout y présentait l’aspect du plus grand délabrement ; on n’y voyait pas de canons, les chevaux y étaient rares, maigres et harassés, mais le maintien du soldat exprimait une espèce d’indifférence leste et gaie... Le sentiment de la victoire réparait tout ! »
Bonaparte, à sa fenêtre, regarde partir les diplomates. Il parvient mal à cacher sa joie : pour la première fois, après la victoire militaire, il a remporté une victoire civile.
Cependant, l’attitude de Joséphine et ses billets « froids comme l’amitié » assombrissent la joie du vainqueur. Il note avec amertume qu’elle a interrompu sa lettre « pour aller à la campagne ». Et, dans les quelques lignes qu’il a lues et relues, il n’a pas trouvé « ce feu qui animait ses regards ». Avec naïveté, il s’exclame : « Tu ne peux m’avoir inspiré un amour sans bornes sans le partager. »
Pourvu qu’elle ne soit pas malade ! Elle qui gémit volontiers – elle se croira valétudinaire jusqu’à sa mort – ne prend plus le temps de se plaindre ! Serait-elle, cette fois, réellement souffrante ? « Tu ne me parles pas de ton vilain estomac ; je le déteste... » Le 24 avril, il l’a suppliée de prendre le chemin de l’Italie. Il l’a même demandé à Barras après la prise de Mondovi – comme s’il s’agissait d’une récompense.
« Tu vas venir, n’est-ce pas ? a-t-il écrit le lendemain à sa chère créole. Tu vas être ici à côté de moi, sur mon coeur, dans mes bras, sur ma bouche. » Il termine : « Un baiser au coeur et puis un peu plus bas, bien plus bas ! » Et il a souligné les trois derniers mots... De Cherasco, le 29, Murat se rend à Paris pour porter au Directoire les accords signés avec le Piémont. Bonaparte lui demande de remettre cette lettre à Joséphine :
« Comment veux-tu, ma vie, que je ne sois pas triste ! Pas de lettre de toi. Je n’en reçois que tous les quatre jours. Au lieu que si tu m’aimais, tu m’écrirais deux fois par jour. Mais il faut jaser avec les petits Messieurs visiteurs, dès dix heures du matin, et puis écouter les sornettes et les sottises de cent freluquets jusqu’à une heure après minuit... Adieu Joséphine, tu es pour moi un monstre que je ne puis expliquer... Que Murat est heureux... Petite main... Ah ! si tu ne viens pas ! ! ! Ce sera un jour heureux que celui où tu passeras les Alpes. C’est la plus belle récompense de mes peines et des victoires que j’ai remportées... »
Joséphine ne met aucun empressement à rejoindre son mari. C’est le cadet de ses soucis. Elle a bien autre chose en tête, car elle est tombée éperdument amoureuse d’un certain lieutenant Hippolyte Charles, de neuf ans plus jeune qu’elle. Il est irrésistible ! De plus, il l’amuse follement ! Et Napoléon n’y est jamais parvenu ! – parfois, peut-être involontairement... Le souvenir de son mari ne la gêne nullement. Le nom du général Bonaparte se trouve sur toutes les lèvres – sauf
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