Bonaparte
elle fait pour moi plus j’exigerai d’elle. Dans peu de jours nous serons sur l’Adige, et toute l’Italie sera soumise. Peut-être alors, si l’on proportionne les moyens dont j’aurai la disposition à l’étendue de mes projets, peut-être en sortirons-nous promptement pour aller plus loin. De nos jours, personne n’a rien conçu de grand : c’est à moi d’en donner l’exemple.
« Déjà, dira un témoin, il avait marqué sa place et établi les distances. » Il se trouvait armé d’un regard qui» traversait les têtes », expliquera plus tard Cambacérès. Trois mois après sa prise de commandement personne n’osait plus dire qu’il était « le protégé de Barras et des femmes ».
Le lendemain, tel un souverain, il s’installe au palais Serbelloni – il se dresse toujours 22 Corso Venezia – et, la semaine suivante, il calme le Directoire en lui écrivant : « Nous tirerons de ce pays dix millions. » Sans parler de vingt tableaux pris au duc de Parme et de vingt toiles enlevées au duc de Modène « à la tête desquelles se trouve le célèbre saint Jérôme du Corrège... »
Sa joie serait complète s’il pouvait avoir sa femme près de lui. Il le lui écrit : elle embellirait l’Italie, « A mes yeux du moins. Tu le sais, quand ma Joséphine est quelque part, je ne vois plus qu’elle ! » Aussi, avant de quitter Milan pour reprendre le commandement de l’armée, essaye-t-il de rendre la chère créole jalouse en lui parlant des jolies femmes qui l’entourent et « cherchent à lui plaire »... Mais il ne peut s’empêcher d’avouer : « Je ne voyais que toi, je ne pensais qu’à toi. Cela me rendit tout insupportable, et une demi-heure après... je me suis en allé me coucher tristement, en me disant : « Voilà ce réduit vide, la place de mon adorable petite femme » « ... Je me figure sans cesse te voir avec ton adorable petit ventre ; cela doit être charmant... »
Le jour même où il trace ces lignes – le 23 mai – il part pour Lodi où se trouve le quartier général de l’armée, mais à peine est-il arrivé qu’il doit regagner Milan : des séditions violentes ont éclaté. À Pavie, dans les faubourgs de Milan, à Binasco aussi, c’est la révolte ! Les partis autrichiens et piémontais ont relevé la tête et le peuple a suivi. Non sans raison ! Les lampions éteints, les Milanais ont été saignés à blanc, écrasés d’impositions et de réquisitions, le séquestre a été mis sur le Mont-de-Piété et les vainqueurs – ô sacrilège ! – ont dirigé vers la France les oeuvres de Vinci et de Michel-Ange ! Comme le dira Stendhal : « Le bon peuple milanais ne savait pas que la présence d’une armée, même libératrice, est toujours une calamité. » Une armée qui de surcroît est gueuse comme Job, et se trouve chargée de conquérir le pays pour le piller afin de remplir les caisses de son gouvernement !
L’insurrection massacre les soldats isolés et Bonaparte lance des ordres de répression : « Les généraux feront marcher contre les villages les forces nécessaires pour les réprimer, y mettre le feu et faire fusiller tous ceux qu’ils trouveront les armes à la main. » On exécute quelques municipalités récalcitrantes, on brûle le village de Binasco où – Lannes l’avouera – l’on a réprimé la révolte d’horrible façon. Avant de quitter Milan, Bonaparte convoque les autorités de la ville et leur annonce qu’ils doivent répondre sur leur tête de toute nouvelle insurrection.
Le lendemain, il s’installe à Pavie, au collège de Novarése. Pour punir l’émeute qui a soulevé la ville, il autorise un pillage de trois heures. Il donne l’ordre d’épargner toutefois les maisons du biologiste Spallanzani et du physicien Volta – l’inventeur de la pile. La rébellion est ainsi noyée dans le sang et le feu. Napoléon le dira :
— En dernière analyse, il faut être militaire pour gouverner ; on ne gouverne un cheval qu’avec des bottes et des éperons.
S’avançant vers l’est, il pénètre à Brescia, sur le territoire de la république de Venise. Masséna reçoit l’ordre d’occuper Vérone – la ville ne s’est-elle pas permis d’héberger « Louis XVIII », celui qui a le front de se proclamer roi de France ? Augereau investit Mantoue. Quant à lui – le 31 mai – il bat les Autrichiens à Castelnuovo. De Peschiera, au bord du lac de Garde, où il s’est installé au château fortifié, dont la
Weitere Kostenlose Bücher