Bonaparte
sur celles de sa femme.
Armand Arnault était reçu par Joséphine lorsque Murat lui apporta la lettre : « Je l’entends encore lisant un passage dans lequel, semblant repousser des inquiétudes qui, visiblement, le tourmentaient, son mari lui disait : « S’il était vrai pourtant ! Crains le poignard d’Othello ! » Je l’entends dire avec son accent créole, en souriant :
— Il est drolle, Bonaparte ! »
Le 6 mai, à Tortone – « la glace du portrait de sa femme qu’il portait toujours, se cassa, racontera Marmont : il pâlit d’une manière effrayante et l’impression qu’il ressentit fut des plus douloureuses ».
— Marmont, ma femme est bien malade ou infidèle.
Puis il enfonce ses éperons dans le ventre de son cheval... Il est cependant plein d’espoir à la pensée de serrer bientôt Joséphine dans ses bras. Il a en effet été convenu qu’elle prendrait la route d’Italie en compagnie de Murat. Que va faire l’infidèle ? Le futur roi de Naples qui attend que la générale Bonaparte se décide enfin à partir, s’impatiente, il doit regagner son poste. Joséphine s’interroge. Doit-elle abandonner son cher Hippolyte ? Jamais ! Alors elle invente un prétexte pour ne pas se mettre en route :
— Je suis enceinte !
Il ne met pas en doute sa parole, aveuglé par les souvenirs de la petite chambre de la rue Chantereine – avec un art consommé, n’est-elle point parvenue à le persuader que c’est à lui qu’elle devait sa science merveilleuse ? Effectivement, quand il apprend la nouvelle de sa grossesse, il lui mande, ébloui : « Il est donc vrai que tu es enceinte ? Murat me l’écrit. Mais il me dit que cela te rend malade et qu’il ne croit pas prudent que tu entreprennes un aussi long voyage. Je serai donc encore privé du bonheur de te serrer dans mes bras... » Le voici tout attendri. Il voudrait voir comment elle « porte les enfants ». On devine son émotion à travers ces lignes : « Serait-il possible que je n’aie pas le bonheur de te voir avec ton petit ventre ? Cela doit te rendre intéressante ! Tu m’écris que tu as bien changé. Ta lettre est courte, triste et d’une écriture tremblante. Qu’as-tu mon adorable amie ?... Je croyais être jaloux, mais je te jure qu’il n’en est rien. Plutôt que de te voir mélancolique, je crois que je te donnerais moi-même un amant... »
Pourquoi se gênerait-elle ?
Le Directoire ne s’est pas arrêté au fait que Bonaparte, sans l’en aviser, avait traité directement avec le roi de Sardaigne, le gouvernement ne voit qu’une chose : la « porte », dont on avait parlé autrefois au général Schérer, a été « forcée » et les caisses se remplissent ! Mais Bonaparte peut encore faire mieux ! « Gênes, lui suggère-t-on, ne doit pas être éloigné de plus de quarante-cinq lieues de Lorette : ne pourrait-on pas enlever la Casa-Santa et les trésors immenses que la superstition y amasse depuis quinze siècles ?... » On lui recommande au surplus : « C’est le Milanais surtout qu’il ne faut pas épargner. Levez-y des rémunérations en numéraire sur le champ ! »
Pour cela il faut anéantir l’armée impériale autrichienne. En ayant demandé aux Piémontais « la faculté de passer le Pô à Valenza », Bonaparte savait bien ce qu’il faisait ! Le général autrichien Beaulieu a été complètement abusé. Leurré comme un blanc-bec d’état-major, il est allé, en se frottant les mains, se porter en face de Valenza, tandis que Bonaparte – le 7 mai – n’ayant devant lui que deux escadrons autrichiens – passe paisiblement le fleuve vers Plaisance, manoeuvre qui va permettre aux Français de tourner merveilleusement l’ennemi. Le 9 mai, après avoir signé un armistice avec le duc de Parme, Bonaparte peut écrire au Directoire : « J’espère, si les choses vont bien, pouvoir vous envoyer une dizaine de millions... » Le lendemain, il quitte sa maison de Casalpusterlengo où il a établi son quartier général – elle existe toujours – et va livrer la bataille de Lodi qui lui donne toute la Lombardie. La riche province tombe comme un fruit mûr...
Napoléon commence à tisser sa gloire...
— Après Lodi, dira-t-il à Sainte-Hélène, je me regardai, non pas comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d’un peuple. Il me vint l’idée que je pus bien devenir un acteur décisif sur notre scène politique.
Le pont de Lodi s’inscrit dans la légende,
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