Bonaparte
ce pont où l’on a vu – ou cru voir – le général en chef, sous une grêle de balles, « marchant le premier un drapeau à la main ». Les Autrichiens, en pleine déroute, rétrogradent vers l’Oglio et Crémone. Le même soir, les plus anciens soldats de l’armée se réunissent et donnent un grade à leur chef : celui de caporal. Désormais, il sera pour eux le « Petit Caporal » et jamais « le sergent », grade que les grenadiers lui donneront après Castiglione.
La victoire de Lodi lui ouvre les portes de Milan, que l’archiduc Ferdinand a quitté précipitamment, emportant son or et ses collections. Le 11 mai, au palais Ghisi de Lodi – Corso Roma – le comte Melzi vient lui apporter les clefs de la ville « aurore de l’épopée napoléonienne, levain fécond de l’unité italienne », selon l’inscription que l’on peut lire encore sur la façade du palais, à droite de la porte d’entrée.
L’Europe est éberluée.
Comme l’écrira Marmont à son père : « C’est avec une armée dépourvue de tout, sans habits, sans souliers, sans artillerie, souvent sans cartouches, douze jours sans pain, mais toujours avec courage, que nous avons obtenu ces succès. » Les Directeurs s’essoufflent à suivre l’armée d’Italie et s’inquiètent. Les victoires de Bonaparte feront-elles également vaciller leurs propres trônes ? Le gouvernement veut remettre « le petit Bonaparte » dans le rang et lui ordonne d’abandonner Milan... pour laisser la ville aux mains de Kellerman ! « Si vous rompez en Italie la pensée militaire, écrit-il à Paris, je vous le dis avec douleur vous avez perdu la plus belle occasion d’imposer des lois à l’Italie... » Et il offre sa démission que les directeurs n’osent pas accepter : « S’ils l’osaient, s’exclame Napoléon avec raison, ils soulèveraient contre eux toute la France ! »
Le 15 mai, jour de la Pentecôte, Masséna, qui a précédé son chef à Milan, l’accueille à la porte de la ville – la Porta Romana – où flamboient ces mots tracés en italien : À la vaillante Armée française... « La République, dira-t-il aux autorités venues le saluer, fera tout pour vous rendre heureux... » L’archevêque et le chef des décurions sont stupéfaits en voyant leur vainqueur, coiffé d’un chapeau orné d’une plume tricolore, toujours aussi maigre ; les cheveux à demi poudrés tombant eh oreilles d’épagneul sur ses épaules, Napoléon descend de la voiture qui l’a amené de Lodi et monte à cheval – un cheval appelé Bijou. Le clair soleil de floréal éclaire la scène. La garde urbaine fait la haie et présente les armes. Au palais archiducal, le vainqueur préside un banquet de deux cents couverts et, en italien, lance ces promesses :
— Vous serez libres ! Vous serez libres et vous serez plus sûrs de l’être que les Français. Milan sera votre capitale ; l’Oglio et le Serio seront vos barrières ; vous aurez cinq cents canons, l’amitié éternelle de la France. La Romagne vous demeurera ; vous embrasserez les Deux Mers ; vous aurez une flotte. Trêve aux regrets et aux querelles... Il y aura toujours des riches et des pauvres... Mais craignez les prêtres, éloignez-les des fonctions publiques... Si l’Autriche revenait à la charge, je ne vous abandonnerais pas.
Les Milanais crient leur enthousiasme. Dans les rues c’est du délire. On acclame le nom de celui qui vient d’arracher Milan à la griffe autrichienne ! On crie, on danse, on allume des feux de joie.
Viva la libertà !
Et, de nouveau, on commence à planter des arbres de la liberté.
Ce soir-là Napoléon a une discussion assez violente avec Berthier. Bonaparte, sorti de la pièce, l’ordonnateur en chef de l’Armée, Denniée, qui a succédé à Chauvet tué au début de la campagne, s’exclame :
— Savez-vous bien que cet homme a des emportements intolérables ?
— Vous avez raison, mon cher Denniée, réplique calmement Berthier, mais souvenez-vous qu’un jour, il sera beau d’être le second de cet homme-là.
— Eh bien ! Marmont, demande Bonaparte en se mettant au lit au palais de l’Archevêché, eh bien ! Marmont, que croyez-vous qu’on dise à Paris ?
— L’admiration doit être à son comble...
— Ils n’ont encore rien vu, et l’avenir nous réserve des succès bien supérieurs à ce que nous avons déjà fait. La fortune ne m’a pas souri aujourd’hui pour que je dédaigne ses faveurs : elle est femme et plus
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