Bonaparte
enjambe l’Alpone. Un pont et un bourg appelés Arcole. Arcole, que Wurmser, quittant une fois de plus Mantoue, vient d’occuper. Or, il est de la plus haute importance de s’emparer d’Arcole puisque, de là, les Français pourront déboucher sur les derrières des Autrichiens... mais le pont, – il existe toujours – bien occupé par l’arrière-garde ennemie, résiste à toutes les attaques.
Impossible de le franchir, en dépit des généraux français qui se précipitent à la tête de leurs colonnes. On voit Augereau empoigner un drapeau et parvenir à le porter jusqu’à l’extrémité du pont en criant à ses troupes :
— Lâches, craignez-vous donc tant la mort !
Mais les troupes ne suivent pas... « Cependant, a raconté Bonaparte, il fallait passer ce pont ou faire un détour de plusieurs lieues, qui nous aurait fait manquer toute notre opération ; je m’y portai moi-même, je demandai aux soldats s’ils étaient encore les vainqueurs de Lodi, ma présence produisit sur les troupes un mouvement qui me décide encore à tenter le passage... »
Napoléon, « indigné par l’hésitation de ses soldats », ainsi que nous le rappelle l’inscription gravée sur la colonne commémorative d’Arcole, s’empare alors d’un drapeau et réussit à le planter sur le pont. Électrisés, cette fois, les grenadiers s’avancent et parviennent jusqu’au milieu de l’ouvrage, lorsqu’un feu de flanc crépite. Et la scène qui suit est assez loin de la légende qui montre Bonaparte, saisissant ce drapeau sous un déluge de mitraille et de balles, et s’avançant sur le pont en entraînant ses hommes avec lesquels il va vaincre le monde... Napoléon rétablira les faits en racontant à Las Cases : « Les grenadiers de la tête, abandonnés par la queue, hésitent ; ils sont entraînés dans la fuite, mais ils ne veulent pas se dessaisir de leur général ; ils le prennent par les bras, les cheveux, les habits, et l’entraînent dans leur fuite, au milieu des morts, des mourants et de la fumée. Le général en chef est précipité dans un marais ; il y enfonce jusqu’à moitié du corps et au milieu des ennemis ». Un grand cri monte :
— Soldats, en. avant pour sauver le général !
Repêché, revenu à la tête de ses hommes, Bonaparte fonce maintenant sur l’ennemi et le force à évacuer le village. Mais la victoire – la victoire d’Arcole – n’aura lieu que le surlendemain – le mercredi 17. Les Français peuvent alors se dégager de ces effroyables marais et culbuter l’ennemi en plaine.
Napoléon le dira : c’est à la suite de cette journée d’Arcole que lui viendra « la grande ambition ». Le matin du 15, il n’était que le chef d’une horde en retraite ! Et si le pont d’Arcole est entré, ce lundi 15 novembre 1796, dans l’Histoire, lui est entré dans la légende !
Six mille Autrichiens ont été tués, cinq mille faits prisonniers. Le ministre Thugut, après avoir reçu à Vienne la nouvelle de la défaite autrichienne, pourra écrire : « Quand on considère que nous avons été deux contre un ! Que Bonaparte, jeune homme de vingt-sept ans, sans aucune expérience, avec une armée qui n’est qu’un ramassis de brigands et de volontaires, de moitié moins forte que la nôtre, bat tous nos généraux, l’on doit tout naturellement gémir sur notre décadence et sur notre avilissement... »
Ce même 17 novembre, la Grande Catherine rendait le dernier soupir. Avant de mourir, elle avait donné l’ordre à Souvarov de faire marcher soixante mille hommes au secours des Autrichiens. Mais le nouveau tsar – Paul I er – prussien jusqu’à la moelle, ordonne à l’armée de faire demi-tour et informe Vienne que : « l’amitié dure, mais l’alliance tombe ».
Tout sourit à Bonaparte qui pourrait être le plus heureux des hommes s’il n’y avait Joséphine – Joséphine, ce lancinant tourment !
Le 19 novembre, harassé, ainsi qu’il le dira au Directoire, il rentre à Vérone par la porte de Venise. Il est accueilli en triomphateur : « Vive le libérateur ! » crie-t-on sous ses fenêtres.
Un jour, Prométhée enchaîné sur son rocher, il soupirera : « Oui, j’ai été heureux Premier Consul – lors de mon mariage, à la venue du roi de Rome, mais alors, je n’étais pas d’aplomb... Peut-être ai-je réellement plus joui après mes victoires en Italie. Quel enthousiasme, que de cris de « Vive le libérateur de l’Italie ! » À vingt-sept ans !
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