Bonaparte
part et on ne peut le comparer à personne ! Clarke semble bien près de découvrir le bonapartisme.
« Ne pensez pas, conclut l’envoyé du Directoire à ses maîtres, que j’en parle par enthousiasme. C’est avec calme que j’écris et aucun intérêt ne me guide que celui de vous faire connaître la vérité : Bonaparte sera mis par la postérité au rang des plus grands hommes. »
Ainsi, pour la première fois, se trouve porté sur Napoléon un jugement qui sera ratifié par la postérité. D’autres contemporains commencent à deviner l’avenir. Au même moment, Lebrun, le futur consul alors député des Anciens, déclare à la tribune de l’Assemblée :
— J’attends Bonaparte à l’Histoire ; c’est elle qui lui assignera son véritable rang. Elle dira beaucoup du guerrier et mieux de l’homme d’État.
Le futur empereur achèvera la conquête de Clarke en lui démontrant qu’il fallait encore infliger quelques défaites à l’Autriche avant de songer à traiter avec elle. Pour obtenir une meilleure paix, il faut faire toucher terre aux Habsbourg des deux épaules ; or ils n’ont encore qu’un genou appuyé sur le sol ! Le jour ne tardera pas où ils devront demander merci.
Le plan de l’ennemi était simple : dix-sept mille Autrichiens se trouvaient enfermés dans Mantoue avec « Wurmser. Le maréchal Alvinczy avec quatre-vingt mille hommes devait venir délivrer la vieille cité toujours assiégée par Bonaparte. Puis, avec cette centaine de milliers d’hommes – François II le pensait –, rien ne serait plus simple que de pulvériser les Français et de reprendre Milan... Un plan devant d’autant plus réussir que l’on savait Bonaparte malade et « jaune à faire plaisir ». L’on voyait même les Autrichiens lever leurs verres « à sa mort prochaine ».
Brûlant de fièvre, les yeux cernés, les joues creuses et blafardes, il ne s’en juche pas moins sur un cheval et prend, le 7 janvier, le chemin de Vérone qui va le conduire à Rivoli. En passant, il s’arrête à Mantoue, lance quelques ordres, ne s’attarde pas et repart vers Vérone. Il a, bien entendu, deviné la pensée de l’ennemi : descendre vers Mantoue par la vallée de l’Adige, couler du nord au sud de Trente à Vérone. Toujours harcelé par la fièvre – ce qui ne l’empêche pas d’avoir trois chevaux morts d’épuisement sous lui – il place ses troupes au nord de Vérone, du lac de Garde jusqu’aux bords de l’Adige, en passant par la citadelle de la Corona et par Rivoli qui commande l’entrée du défilé.
Le paysage est d’une prenante beauté, mais il s’agit bien de cela ! La situation est grave ce samedi 14 janvier.
Combien de stratèges se pencheront sur la bataille de Rivoli, et essayeront d’expliquer comment une armée considérable, forte de quatre-vingt mille hommes, a pu être battue par des troupes, deux fois moins nombreuses ! Au milieu de la matinée, la position des Français paraît cependant bien compromise. La veille, Joubert a été rejeté sur le plateau de Rivoli – ou plutôt, comme le précise un combattant, le bassin de Rivoli – et l’ennemi semble maintenant vouloir contourner les troupes françaises, et même les encercler... Lorsque les combattants voient en effet les crêtes des montagnes se couvrir de troupes autrichiennes qui s’applaudissent elles-mêmes à grands claquements de mains, l’inquiétude, l’angoisse font porter tous les yeux vers Bonaparte qui, après avoir regardé l’avalanche prête à l’engloutir, se contente de déclarer avec calme :
— Ils sont à nous !
Il faut toute la confiance aveugle que les officiers témoignent à leur chef pour ne pas se demander si la fièvre n’est pas en train de jouer un mauvais tour à leur idole. Assurément, prise comme dans un moule à gaufre, l’armée française va être écrasée ! Paisiblement, il répète :
— Ils sont à nous !
Quelle folie ! De tous les côtés, ne se trouve-t-on pas cerné, alors que Bonaparte n’a avec lui que les seules divisions de Joubert et de Masséna ?
— Ils sont à nous !
Il ne remarque même pas les boulets qui, tirés de l’autre côté de l’Adige, tombent sur la position française. Soudain, on voit arriver de l’ouest une nouvelle colonne. Cette fois l’encerclement sera total ! Mais Bonaparte, souriant, répète :
— Ils sont à nous !
La colonne est française ! Il s’agit de la 18 e demi-brigade. Son chef, le général Mounier,
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