Brautigan, Un Rêveur à Babylone
par plusieurs
cow-boys du coin. Price lui a intimé de rentrer avec lui. Elle était saoule, et
ses admirateurs ne tenaient pas vraiment à ce qu’elle leur fausse compagnie.
Price n’était pas inconscient au point de provoquer toute une bande de cow-boys
en virée du vendredi soir. Il a donc décidé de prendre son mal en patience. Pas
question non plus d’appeler Richard et de lui expliquer le topo : que sa
fiancée était occupée avec une poignée de vachers, et qu’ils seraient donc un
peu en retard.
Sur ces entrefaites, une fille qui avait des vues sur Price
a détourné un moment son attention. Quand il a réapparu, la promise de Richard
s’était rincé le palais sur le compte de suffisamment de prétendants pour qu’il
juge bon de la séparer du reste des admirateurs. Il essaya de la dessaouler à
grand renfort de café avant d’entreprendre le chemin du retour.
Au ranch, fou de rage, Richard rongeait son frein. Il avait
sorti tous les vêtements de Price de sa chambre et les avait balancés dehors,
sur la pelouse.
Price et la fille se sont retranchés chez un voisin pour y
passer la nuit.
Au matin, Price s’est changé, a fourré ses anciens vêtements
dans le coffre de la voiture de location, et, sans guère y prêter attention, a
oublié les clés dans une poche de pantalon.
Richard a refusé de lui adresser la parole. Price a décidé
qu’il en avait assez de cette hystérie. Mais voilà, la voiture était fermée à
clé, les clés enfermées dans le coffre arrière.
Price a pris un burin. Il a percé un trou dans la tôle du
coffre. Puis il est parti pour l’aéroport, a rendu la voiture et s’est envolé
pour la Californie. L’agence de location a facturé un coffre neuf à Peter
Fonda. Furieux, Fonda s’est plaint auprès de Richard, qui a payé la facture.
Le plus remarquable, dans cette histoire, c’est que Richard
n’a jamais admis sa jalousie. Son arrogance lui interdisait tout bonnement de
tolérer l’idée que Price pouvait lui avoir volé sa fiancée. Pas plus qu’il ne
pouvait envisager qu’elle avait trouvé la vie plus excitante en ville que
« Chez Brautigan ».
En guise de remerciement pour ma collaboration à la
jaquette, j’ai reçu un exemplaire de Retombées de sombrero, avec, sous
l’autographe de Richard, l’annotation : « Le Faust du Montana ».
Ce geste d’orgueil démesuré et de délire olympien m’a laissé
pantois. Price, à qui j’ai rapporté tout cela, m’a fait ce simple
commentaire : « Richard est devenu fou. »
Chapitre
VII
SAN FRANCISCO, 1977-1982
Après ces péripéties dans le Montana, j’appréhendais tout
séjour prolongé aux côtés de Richard. Selon des amis qui continuaient de le
fréquenter, ses insomnies et ses crises de fureur ne l’avaient pas quitté. Nous
avons abordé plusieurs fois la question de savoir comment s’y prendre pour lui
venir en aide. Mais la réponse était la suivante : ceux qui n’avaient pas
encore été bannis de la vie de Richard avaient déjà essayé de lui tendre la
main, en vain.
Voici ce qu’en dit Erik Weber :
« C’était la période où Richard épluchait la liste de
ses amis et se les mettait à dos les uns après les autres. »
Certains considéraient ces épisodes tout simplement comme
d’autres excentricités typiques de Richard. Ce n’était pas mon cas. Toute assistance
psychiatrique était à exclure, car Richard avait une sainte horreur des psys.
On apprit après sa mort qu’il avait fait un court séjour en hôpital
psychiatrique.
A cette époque, ses propres amis de San Francisco se
voyaient lentement exclus de sa vie, quand Richard n’avait pas déjà brusquement
coupé les ponts, de lui-même.
C’est alors que commença son yoyo entre le Montana et Tokyo.
Selon un schéma classique d’alcoolique, il a cherché une solution géographique
à ses problèmes.
L’accueil réservé à Retombées de sombrero avait été
timide en Amérique, et je savais que cela n’améliorerait pas le fragile état
mental de Richard. Son amie Siew-Hwa me confia qu’il avait travaillé sur un
scénario tiré du Monstre des Hawkline. De ce côté-là non plus, tout ne
s’était pas déroulé au mieux. On lui avait demandé de retravailler son premier
jet et, si une telle pratique était monnaie courante à Hollywood, il
l’interpréta comme un refus. D’un ton impérieux, il coupa court à tout échange
avec eux. Siew-Hwa précisa que le producteur
Weitere Kostenlose Bücher