Byzance
tellement neuf ; en Norvège les temples de bois en l’honneur de Thor ne devaient pas avoir plus de deux cents ans d’âge, mais au milieu de ces reliques géantes de pierre on pouvait traverser le temps et toucher le monde des anciens dieux.
— On dit qu’Hadrien, l’empereur de Rome qui a construit cet endroit, a bâti aussi un mur quelque part près de chez vous, à Thulé. Est-ce possible ?
— Peut-être. Je me souviens qu’un jour, à son retour de la terre des Angles, mon frère m’a parlé d’un mur.
Haraldr regarda le teint presque irréel de la jeune fille. Elle avait un visage de statue peinte, la peau si blanche et les lèvres d’un rouge si intense. Et pourtant son enchantement ne tenait pas simplement à sa beauté. L’impératrice était beauté rehaussée par la puissance, et Maria beauté rehaussée par la sensualité. La beauté d’Anna était rehaussée par le savoir. Sa mère, lui dit-elle, avait insisté pour qu’elle apprenne les textes anciens qui révélaient les pensées et les cœurs des hommes qui avaient vécu il y a des siècles, quand les anciens dieux marchaient sur la terre et que Daphné était encore jeune. Incroyable. Plus il observait ces Romaines, plus il en était intrigué et séduit.
— Il faut partir, soupira Anna.
Un crépuscule lumineux dissolvait les ombres, et les colonnes de Daphné se transformaient en fantômes.
— Maria dit que chaque coucher de soleil est une tragédie. Elle n’aime pas la nuit. Et pourtant…
Anna laissa sa phrase en suspens, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Maria. Une sorcière qui défiait les ténèbres que Haraldr avait vues au fond de ses yeux. En dépit d’Anna, il ne pouvait chasser Maria de son esprit. Il faudrait qu’il en parle à Halldor ; que faisait l’acheteur avisé quand le marchand lui faisait cadeau en puisant dans la boutique de son concurrent ?
— Il faut que je vous montre une chose, dit Anna quand ils descendirent du réservoir.
Un instant plus tard, elle quitta le sentier et entra dans un petit bosquet garni de plantes grimpantes. La nuit avait déjà pris possession des lieux. Elle lui saisit la main.
— Attendez que vos yeux s’habituent, dit-elle, confiante. Tenez.
L’architrave de pierre, supportée par deux colonnes, se détacha de l’ombre profonde. Bientôt Haraldr put même distinguer les lettres grecques, ciselées sur la pierre en ruine. H-E-C-A-T-E.
— Le temple d’Hécate, murmura Anna. Pour les Grecs qui la vénéraient, c’était la déesse de la magie diabolique. Elle pouvait ressusciter les morts et les faire apparaître aux vivants sous la forme d’esprits.
— Des filgya, dit Haraldr avec un respect sincère pour ces esprits qui errent parmi les hommes.
— Vous les connaissez ? murmura Anna. Venez. Je tiens à dire à Maria que nous sommes descendus ici. Elle sera terrifiée.
— Descendus ?
Haraldr sentit un frisson dans son cou et entre ses épaules.
Anna répondit en un murmure à la fois mystérieux et pressant.
— Oui. Hécate vit dans les mondes inférieurs. Regardez. Vous pouvez voir les marches.
On les apercevait à peine. Les trois escaliers de pierre s’enfonçaient dans les décombres après quelques coudées. Grégori se signa.
— Haraldr Nordbrikt, dit-il, je n’y vois pas très bien dans le noir.
— Reste ici au cas où nous nous perdrions, suggéra Haraldr, charitable.
Anna saisit la main de Haraldr et la serra, puis elle l’entraîna marche après marche. Derrière eux, Haraldr entendit Grégori réciter un des poèmes appelés psaumes que le guerrier David avait composés il y a longtemps pour le Père du Christ.
Bientôt le silence fut profond, rompu seulement aux instants où le pied touchait la pierre. L’humidité rappela à Haraldr la tour du Néorion, l’enfer qui s’élevait vers le ciel. Plus bas, l’odeur de pierre ancienne devint de plus en plus suffocante. Haraldr compta plus de cent pas, et ils continuaient de descendre. Anna se heurta à lui et poussa un petit cri. Haraldr dut réprimer le réflexe de saisir son poignard.
— Oh ciel ! gémit Anna.
Haraldr l’entendit frapper la pierre de la main. Elle prononça quelques mots signifiant sans doute qu’ils ne pourraient pas aller plus loin. Haraldr tendit le bras et palpa la pierre froide, granuleuse.
— Pas plus loin, dit-il en grec, satisfait.
— Pas plus loin, murmura Anna. Vous pouvez me voir ?
— Pas bien. Non.
Anna prit
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