Byzance
bloquaient le soleil, donnant une coloration menaçante à la scène. Ignatios avait cessé de penser, paralysé par la frayeur. Il se mit à sangloter doucement près du visage torturé de son père.
Attaliétès décida de ne pas humilier davantage son fils. À quoi bon ? Autant qu’Ignatios était lâche, Mélétios s’était montré stupide. Que faisait-il au sud d’Antioche, à l’avant-garde de l’escorte de cette roulure ? Joannès, la sainte merde, et son frère asexué Constantin devaient rire au-dessus du cadavre de Mélétios. Et à présent, ceci ! Les mains visqueuses de cet excrément en robe noire avaient manigancé tout, c’était certain. « Quel imbécile je suis, se dit Attaliétès. J’aurais dû me retirer à Arcadiopolis ou à Nicomédie dès que j’ai appris l’enlèvement de la pute. » Mais il y avait tant de choses à faire ici, avec la valeur des terres de Cilicie et de Lycandos qui ne cessait de plonger. Mon Dieu, même l’Arménie avait montré des tendances à la baisse. Trop de choses à faire ; trop d’incertitude. Dieu est si cruel. Quand Nicon Attaliétès était jeune et vigoureux, Basile le Bulgaroctone avait limité l’univers des dynatoï au jeu de paume à cheval, aux banquets et à la chasse. Ces luxes avaient coûté aux dynatoï davantage de leur vitalité que s’ils s’étaient révoltés et s’étaient fait jeter à la Numéra ou au Néorion. Mais à présent, alors qu’il y avait tant de choses à prendre, tant de choses qui attendaient simplement qu’on les cueille, il ne restait plus que des vieillards affaiblis sans la force de s’en emparer, et des jeunes sans cervelle ni courage. Peut-être Mélétios aurait-il pu accroître la puissance des dynatoï, se lamenta Attaliétès en silence. Mais Mélétios était mort et la meute aboyait à la porte.
— Manganès !
Isaac Manganès, un homme de petite taille aux traits asiatiques, pareil à une icône dans sa robe de soie de l’Hellade, s’avança vers la fenêtre. Ancien commandant militaire subalterne d’Arménie auquel des supérieurs moins compétents avaient refusé une juste promotion, Manganès dirigeait pour Attaliétès plusieurs domaines d’Arménie. Il s’était révélé beaucoup plus compétent que le réseau de cousins, de neveux et – oui – de fils qui régissaient la plupart des propriétés du vieillard. Et il supervisait maintenant tous les domaines d’Asie. Quand Attaliétès avait acheté à Mélétios le poste de stratège de Cilicie, Manganès avait été convoqué à la Ville impériale pour devenir le bras droit du vieil homme, responsable de tous les détails dont le dynatoï ne désirait pas se soucier. « Tel est notre destin, se dit Attaliétès tandis que Manganès venait à son côté, notre survie dépend maintenant de personnes de basse extraction. »
— Je dois vous avouer… la situation est sans espoir.
Manganès savait que son patron préférait la sincérité aux fourberies fleuries qu’on entendait à la cour. C’était pour cette raison, autant que pour les soucis de santé, que le vieux combattant n’était pas entré au Palais impérial depuis peut-être cinq ans. Comme il disait souvent : « Pourquoi irais-je dans ce palais supporter ces lâches et ces traîtres alors que j’en ai déjà une bonne dizaine dans mes propres palais. » « Malheureusement, songea Manganès en regardant la foule en colère se précipiter sur les grilles de la vaste résidence d’Attaliétès, ce palais va être mis à sac et incendié par cette horde malpropre. À moins que… ma foi, le vieil homme devra en parler le premier. Il y a certaines choses qu’un salarié venu d’Arménie ne peut jamais dire. »
— Avez-vous envisagé… tout ?
— Sénateur, répondit Manganès, l’affaire a été bien conçue. Le piège tendu à Mélétios, l’enlèvement de l’impératrice, puis l’envoi du grand domestique et du reste de la Taghmata impériale au secours de Zoé née dans la pourpre… Vous vous rappellerez que je vous ai mis en garde contre la réduction de votre garde personnelle, bien que nous fussions tous convaincus que sous le grand domestique Bardas Dalasséna la Taghmata impériale était devenue notre garde personnelle. J’étais inquiet justement pour ce genre d’éventualité. Tant que la Taghmata est sous l’autorité de l’empereur, nous ne pouvons pas être absolument certains qu’elle assurera notre
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