Byzance
vous convertir, et je vois qu’à la place vous avez commencé à me persuader. La patience de Dieu est infinie, ajouta-t-il en se détournant de l’immense caverne de lumière. Mais il nous recommande sans cesse la précaution, car nos moments sur cette terre sont comptés.
* *
*
Le mille-pattes était aussi long que la main d’un homme, et quand il rampa sur la cuisse de Michel Kalaphatès, celui-ci eut l’impression qu’il enveloppait son membre nu comme un serpent. Il poussa un cri hystérique et battit en retraite vers l’angle de sa cellule ; la muraille froide et humide heurta son dos nu. Il ne pouvait rien voir. Haletant, il essaya d’obliger son corps à rentrer en lui-même, pour disparaître et que les bêtes ne puissent plus le reconnaître. Mais les cris continuèrent d’entrer, en se glissant par les rainures de la porte que même la lumière ne pouvait pas pénétrer ; et il put voir les hurlements, ils étaient la seule chose qu’il puisse voir : des lianes brûlantes qui s’enroulaient autour de lui et enfonçaient d’énormes épines rouges dans sa chair.
Le quatrième jour, un lac de feu l’enveloppa de toute part et le soufre empoisonna ses poumons ; puis le serpent apparut devant lui et cracha le tonnerre.
— Mon neveu.
Le serpent le toucha. Il avait un visage d’homme. Les hurlements moururent, dissous par le liquide chaud.
— Mon neveu, savez-vous où vous êtes ?
— Oui, oui. Je vous le dirai, mais aucun homme ne peut plus m’entendre. Je parle aux démons dans leur propre langue. Oui.
— Au Néorion. Vous vous souvenez du Néorion, mon neveu ?
Ensuite il y avait eu des rêves. Et le Pantocrator lui parlait du haut d’une montagne lointaine. Il écartait les bras et révélait les royaumes du monde, ville minuscule vue de très loin. Puis Michel s’endormait, tout seul, sous un nuage où les démons ne pouvaient plus le découvrir.
— Mon neveu.
Il s’éveilla en sursaut et tout lui revint comme un soleil éclatant sur une mer brûlante. « Le Néorion. Je suis au Néorion. Depuis combien de temps ? »
— Savez-vous où vous êtes, mon neveu ?
Michel leva la tête et cligna des yeux.
— Au Néorion.
— Oui. Depuis cinq jours. Votre effondrement a été plus total que je ne l’escomptais, lui dit Joannès en lui tendant un gobelet d’argent. Je ne sais vraiment que faire de vous. Vous êtes si faible ! Si faible que je finis par vous considérer comme trop précieux pour être détruit. Oui. Voici comment je vois les choses. Pour un chef-d’œuvre de sculpture, il faut d’abord modeler la forme dans une substance malléable comme la cire ou l’argile, puis la fixer dans le bronze éternel par l’art du maître fondeur. Comme vous pouvez être modelé avec tant d’aisance, vous serez la matière dans laquelle je créerai des œuvres durables d’une étonnante complexité.
— Je suis certain que vous comprenez, sans que je l’exprime, la plénitude de mon repentir pour l’acte fou et démoniaque que j’ai dirigé contre vous.
— Oui. J’ai remarqué votre contrition, répondit Joannès en lui tendant une coupe de vin. Buvez donc, profitez-en.
Vous avez senti le fouet. Il vous suffit maintenant de tirer la charrette.
— Vous savez, je ferai tout ce que vous me demanderez, si seulement…
— N’ajoutez rien, mon neveu. Ce que j’ai vu dans vos yeux hier valait toute une vie de supplications de vos lèvres. Vous vous êtes montré très volubile avant votre isolement. L’intensité de votre amitié avec notre Mère bénie m’a intrigué. Après vous avoir forcé à endurer une telle épreuve ici, je ne veux pas vous priver à présent du confort que peut vous apporter le giron généreux de notre Mère. Allez la voir souvent et sollicitez ses conseils sur tous les sujets, comme vous le faisiez naguère. Je vous demande seulement, en échange de votre liberté, de pratiquer assidûment les arts de la mémoire et de me réciter tout ce que Sa Majesté pourra vous dire, si intime ou confidentiel que ce soit. Si je découvrais que votre souvenir n’est pas rigoureusement fidèle, nous continuerions votre instruction ici, au Néorion.
Michel Kalaphatès leva vers Joannès un regard de gratitude et exprima sa reconnaissance.
— Mon oncle, votre voix est aussi douce que celle des anges.
— J’espérais que vous ne me chercheriez pas.
Maria se tenait sous le porche de sa villa, en face d’une mer houleuse,
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