Byzance
d’un autre homme, mais parce qu’il s’était souillé. Que s’était-il passé d’autre cette fois, se demanda-t-il, pour qu’il aille jusqu’au bout ? Détestait-il vraiment Haraldr Sigurdarson à ce point ? Ou bien la mort était-elle plus proche qu’il ne le pensait ?
Son membre était froid, sali par les humeurs de cette femme. C’était une prostituée. Il repoussa Maria et descendit du lit.
Maria s’assit et étala le sang sur son sein du bout du doigt comme un enfant fasciné. Elle regarda Mar se rhabiller.
— Ça m’a plu, dit-elle d’une voix qui semblait venir de très loin. Tu étais aussi gourde qu’un enfant de treize ans. J’ai déjà séduit des gamins au menton sans barbe auxquels il a fallu que j’apprenne tout. Et voici que je t’ai initié ! Tout le plaisir est pour moi.
Mar la regarda comme si elle avait la lèpre.
— Vous êtes folle et vide, dit-il en enfilant ses bottes, puis en se redressant pour l’affronter. Vous êtes comme la mer de l’Ouest. Beaucoup de force, de grosses tempêtes. Mais comme la mer vous ragez toute seule, dans le vide et le silence, sans le moindre sens, à moins qu’un homme ose vous mettre au défi. Tout homme qui vous aime est un fou. J’ai été fou de venir ici.
Maria regarda Mar s’éloigner. Elle entendit un son strident dans ses oreilles. Oui, elle était aussi vide que la mer décrite par Mar. Et elle n’avait éprouvé aucun plaisir, seule la souffrance qu’elle avait demandée. Elle avait détesté, elle s’était détestée, et cela ne l’avait pas libérée.
Alexios, patriarche de l’Unique Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique, apparut en un tourbillon de soie blanche et de broderies d’or. Derrière le patriarche éclatant, par les portes de bronze brièvement ouvertes de ses appartements personnels, Mar entrevit des serviteurs qui débarrassaient les couverts d’or et d’argent de la table du petit déjeuner. Mar tomba à genoux et baissa le front vers un tapis rouge jonché de chrysanthèmes d’or au dessin délicat. Une douce odeur d’encens emplit ses narines.
— Relevez-vous, hétaïrarque. Relevez-vous.
Alexios lui fit un signe de ses doigts chargés d’anneaux. Sur son visage étrange et puissant, les lèvres féminines contredisaient le nez de faucon ; le regard était immobile, réservé, mais néanmoins redoutable.
— Mon père, vous me faites honneur…
— Sottise, voyons. C’est mon plaisir. Depuis que Sa Majesté ne peut plus prendre le déjeuner avec moi, j’ai souvent l’impression que je perds contact avec le bras séculier de notre glorieux empire. Je me félicite de cette occasion d’avoir un entretien privé, et même intime.
Alexios précéda Mar dans une série d’antichambres et de bureaux ; les secrétaires aux bras chargés de documents et les dignitaires affairés vêtus de soie et d’or semblaient fort peu différents des fonctionnaires d’un important bureau impérial. La seule différence, remarqua Mar, était qu’ici il existait une puissante unité des objectifs : on sentait qu’avec une soumission inflexible, ces hommes ne servaient qu’un seul maître.
— Je me suis dit que nous pourrions bavarder dans mon église, lança Alexios. J’ai l’intention de racheter votre âme pour le Pantocrator. Je vais donc demander Son intervention divine. Il est difficile de Le renier sous les voûtes de Sainte-Sophie.
Ils suivirent un corridor bas qui débouchait du côté sud de la basilique. Le patriarche se retourna vers Mar.
— Ceci est ma forteresse, dit-il d’une voix égale mais beaucoup plus profonde. C’est l’édifice le plus puissant de la terre. Sa force n’est pas dans la masse de ses murs, mais dans leur fragilité, dans la façon dont les rayons du soleil transforment l’espace en lumière pure du Dieu vivant éternel. Un jour peut-être, avec des moyens dont nous ne pouvons pas rêver aujourd’hui, des hommes vaincront les murs de cette ville. Mais comment pourrait-on vaincre la lumière dans laquelle le Pantocrator se révèle aux hommes ?
« Le dragon de Nidafell, songea Mar, le dernier dragon consumera même la lumière du Pantocrator. » Les yeux d’Alexios se détournèrent.
— Je vois que je n’ai pas réussi à vous émouvoir en parlant de Dieu. Parlons donc de Rome, et de ce que nous devons rendre, sinon à notre césar, du moins aux pouvoirs qui nous ont donné un césar.
Mar releva les yeux vers la lumière
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