Byzance
l’aile des logements privés de ses centurions. Il frappa à la porte de Thorvald Ostenson, et dès que celle-ci s’entrouvrit, il s’élança à l’intérieur. Il ne jeta pas un seul regard au jeune garçon tapi dans le lit d’Ostenson.
— Allez immédiatement chez le grand domestique Bardas Dalasséna. Je dois le voir ce soir. Sans faute.
Mar regarda Ostenson s’habiller comme s’il avait peur que son centurion se recouche. Après le départ d’Ostenson, Mar claqua la porte sur le gamin épouvanté et regagna aussitôt son appartement du troisième étage. Il ouvrit toutes les portes à la volée et sortit sur son balcon comme s’il avait envie de faire exploser sa rage aux oreilles de tout le Palais. Incroyable. Qui détestait-il le plus ? Lui-même, Haraldr Sigurdarson, ou la catin et ses stratagèmes, d’une fourberie inimaginable ? Sigurdarson ! Incroyable ! Mar avait passé des mois à forger une alliance avec Alexios et Théodora, et en une seule soirée, avec la putain née dans la pourpre, le petit prince avait forgé un plan qui laisserait probablement cette Zoé, cette garce, au pouvoir pendant le reste de ses jours. Avait-elle également promis à Haraldr Sigurdarson de le faire hétaïrarque ? Ou bien le laisserait-elle repartir par la Norvège avant même qu’il ait commencé à se rendre utile ? C’était ce qu’il détestait le plus depuis le début dans ce Sigurdarson : sa chance extravagante, d’abord d’être resté en vie, puis cette invraisemblable série de succès. Mar rentra dans sa chambre, souleva l’énorme coffre en face de son lit et le lança contre le mur. Le meuble se brisa avec un bruit pareil à celui d’un bateau qui explose sur des rochers.
L’explosion de bois et d’ivoire apaisa Mar suffisamment pour lui permettre de réfléchir clairement. C’était l’évidence même : Haraldr Sigurdarson ne valait pas les soucis qu’il donnait, il fallait qu’il meure. La décision qu’il avait prise à la hâte jadis était juste ; il n’y en avait plus d’autres possibles. Mais quel instrument choisir pour son exécution ?
* *
*
L’atrium fermé du palais du grand domestique Bardas Dalasséna s’ornait d’une fontaine entourée de mosaïques dorées. Au milieu de l’eau, un lion se cabrait. Mar regarda le reflet des torches dans le bassin immobile. Le jet d’eau avait été coupé. Cinq officiers de la Taghmata impériale montaient la garde à quelque distance. « Croit-il que si je voulais le tuer, je lui enverrais mon centurion au milieu de la nuit pour solliciter un entretien ? Et cet imbécile s’imagine-t-il qu’il manifeste sa force en me faisant attendre ? »
La neuvième heure de la nuit passa avant qu’un topotérétès détaché au service du grand domestique descende l’escalier en spirale.
— Il va vous recevoir tout de suite, dit le topotérétès.
Le grand domestique ne salua pas Mar quand l’hétaïrarque entra dans son bureau silencieux, mais continua de feuilleter des dépêches sur son bureau. « L’image même du soldat », songea Mar. Une image – comme tout à Rome : seulement une image. Dalasséna fit enfin signe à son topotérétès de partir, mais celui-ci ne referma pas la porte derrière lui et se mit à tousser un instant plus tard pour bien signaler à Mar qu’il était resté dans le couloir.
— Je suis très occupé, hétaïrarque, lança Dalasséna de sa voix habituée à commander.
Mar décida qu’il avait supporté assez longtemps ce spectacle. Il referma la porte d’un coup de pied et s’adossa à elle.
— Espèce de ver merdeux ! Vous croyez donc que ces six gamins au-dehors peuvent m’empêcher de vous briser le cou entre deux doigts ?
Les yeux sombres de Dalasséna brillèrent de colère et de haine. Mar le porta à son crédit. Le grand domestique reculerait devant la mort aussi longtemps qu’il le pourrait mais s’il était finalement pris au piège, il se retournerait et affronterait les Walkyries.
— Très bien, hétaïrarque, répondit Dalasséna en haussant les épaules, ayant apparemment décidé qu’il lui restait quelques possibilités de retraite. Je vous ai déjà offert une fois l’occasion de traiter. Je ne vois pas pourquoi je refuserais la conciliation simplement parce que cette fois, c’est vous qui me sollicitez. Ce ne sera pas la première fois dans ma carrière que je négocierai avec le diable.
Mar s’écarta de la porte. Le topotérétès
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