Byzance
d’entrée de son palais. « Non, je n’ai pas encore vu les Bulgares, répéta Haraldr mentalement. Ils sont au moins à dix journées de marche et nous les repousserons certainement avant qu’ils voient les murailles de la ville. Revenez auprès de votre mari et inquiétez-vous plutôt des impôts qui seront nécessaires pour payer cette campagne. »
La femme se dirigea vers Haraldr avant qu’il mette pied à terre ; le capuchon trempé dissimulait son visage. Elle posa la main sur sa botte et releva la tête. L’éclat brûlant des yeux de saphir fit tressaillir Haraldr. Maria ôta aussitôt sa main comme si elle avait touché des braises ardentes. Elle regarda fixement Haraldr pendant un instant avant de parler.
— Je n’ai pas le droit. Mais il faut absolument que je vous parle avant que vous ne partiez. Il le faut. J’attendais.
— Je n’ai pas de temps à consacrer à votre jeu, madame, lança Haraldr sèchement. Je dois maintenant jouer le jeu de la guerre, qui n’est pas moins banal qu’un jeu d’enfants, comme vous dites, mais dont il faut payer les enjeux par du sang. Peut-être pouvez-vous me dire comment tuer un Bulgare s’il essaie de me faire l’amour…
Haraldr mit pied à terre et s’avança vers elle. Le visage de la jeune femme n’était pas maquillé et la pluie avait parsemé de perles ses joues pâlies.
— Je ne suis pas venue me moquer de vous, dit-elle doucement, et sa voix sembla tomber du ciel gris comme des gouttes de cristal. Je sais que j’ai… Mais je ne suis pas venue pour m’expliquer. Je n’ai aucune excuse à présenter. Ce qui est fait est fait. Ce qui peut encore être défait, je désire le défaire. Ce que j’ai à dire concerne votre vie.
Haraldr secoua la tête d’un air las.
— À l’endroit où je vais, je serai hors d’atteinte de toutes vos intrigues.
— Je vous en supplie. Vous savez que je ne suis pas…
Elle s’interrompit et ses lèvres, plus violettes que de coutume, se mirent à trembler.
— Vous connaissez le vide en moi. Je ne suis pas heureuse dans mon être. Je vous supplie de me prendre en pitié.
Son visage exprimait un désespoir qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il se souvint d’une chose qu’il lui avait dite un jour et se demanda quelle étoile insensée l’incitait maintenant à la prendre en pitié.
— Entrez, murmura-t-il.
Les serviteurs de Haraldr, pris de folie, couraient en tous sens avec des amphores et des sacs, rangeaient les plats d’argent dans le sous-sol pour les mettre à l’abri du pillage. Son chambellan Nicétas Gabras se tenait au milieu de l’antichambre, pareil à un général organisant une invasion. Haraldr lui lança un coup d’œil agacé ; il avait gardé le laquais de Joannès seulement parce qu’à Rome, un espion démasqué était presque aussi précieux qu’un ami de confiance. Mais de temps en temps, il devait résister à son envie de se jeter sur Gabras pour le pourfendre en deux devant toute son armée d’eunuques tremblants et de servantes.
— Grégori, cria Haraldr à tous les coins de l’immense palais, êtes-vous prêt à partir en viking avec vos camarades du Nord ?
Grégori cria sa réponse, assourdie par la distance, puis apparut au fond de l’antichambre vêtu d’une cape de toile et traînant derrière lui un sac en peau de bête dans le style des pays du Nord.
— Dans la tempête des batailles, nous ne craignons pas le vent !
— Vous êtes le premier Romain digne du Nord, lança Haraldr au petit eunuque avec un sourire affectueux.
Il regarda Gabras toujours en train de diriger sa propre campagne et eut une inspiration soudaine.
— Chambellan, aboya-t-il, laissez tout ceci ! Vous partez en guerre.
Ce fut comme si un poignard s’enfonçait dans les côtes du chambellan.
— Oui, poursuivit Haraldr. Vous pourrez m’être utile. Mon interprète et brave camarade ici, ancien combattant de nombreuses campagnes, a besoin d’un écuyer pour porter son sac au front. Je vous nomme dans cette position. Tout délai dans le respect de cet ordre sera puni selon les règlements de la Moyenne Hétaïrie.
Le regard glacé de Haraldr fit capituler sur-le-champ le chambellan stupéfait. Il prit le sac de Grégori et le fixa sur son dos comme s’il n’avait fait que cela depuis sa naissance.
Haraldr fit signe à Maria de le suivre au premier étage. Il la précéda jusqu’à la chambre voûtée, éclairée par des candélabres. La
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