Byzance

romain.
    L’empereur se signa, indiquant que l’audience était terminée. Mar croisa les bras sur sa poitrine et s’éloigna à reculons du trône colossal. Un peloton de gardes khazars escorta l’ancien hétaïrarque jusqu’à la voiture aux rideaux tirés qui l’attendait sous le porche du Chrysotriklinos. Avant d’y entrer, Mar jeta un dernier coup d’œil sur les eaux noires du Bosphore, cernées de lumières. Les torches de son escorte lançaient des reflets orangés sur ses iris brillants, et pendant un instant il crut voir une mer de feu.
    * *
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    — Hétaïrarque Haraldr, puis-je emplir votre gobelet ? dit l’épouse du magister dont Haraldr ne se rappelait plus le nom.
    Elle battit des cils et, en se penchant pour verser le vin couleur d’ambre, montra sa poitrine généreuse. « Le tribut de la célébrité », se dit Haraldr en souriant poliment. Au-dessus de lui, le cône doré de la fontaine mystique du Triconchos s’élevait comme un cyprès d’or. Le vin coulait de cette fontaine splendide, était recueilli dans la vasque de bronze puis déversé vers les invités par les gueules de diverses bêtes de bronze. Des plats de noix, d’amandes, de pâtisseries et de fruits entouraient les gargouilles de vin, et des marches de marbre descendaient vers une place à ciel ouvert où se pressait l’élite de la cour impériale : magisters, patriciens, proconsulaires, sénateurs. Les épouses se déployaient en force, car ces réceptions en plein air encourageaient le mélange spontané des sexes.
    — Hétaïrarque, lança le logothète du Dromos en montrant ses dents acérées de rongeur, il faut venir à mes bureaux pour me mettre au courant des derniers renseignements sur les tactiques de l’infanterie bulgare. J’ai besoin de connaître leurs armes les plus efficaces, de savoir où ils les obtiennent, ce genre de choses. Peut-être pourrons-nous en empêcher le commerce.
    Le logothète jeta un coup d’œil dans le gobelet d’or ciselé d’Haraldr.
    — Jetez donc ce breuvage vulgaire, hétaïrarque. Laissez-moi vous faire connaître un cru d’Italie.
    Le logothète fit signe à un cubiculaire debout près d’un lion de bronze plus grand que nature qui crachait de l’eau. L’eunuque prit une verseuse d’argent et emplit le gobelet de Haraldr d’un vin couleur de rubis. Le logothète dévisagea le nouvel hétaïrarque avec ses yeux sombres d’Asiate.
    — Je crois savoir qu’il existe certains malentendus entre vous et l’orphanotrophe Joannès.
    — Non. L’orphanotrophe et moi nous entendons parfaitement.
    Haraldr réfléchit en silence. Il avait décidé d’attendre, de voir si l’empereur serait aussi courageux assis sur son trône que lorsqu’il s’élançait sur les cadavres bulgares. Si c’était le cas, il lui donnerait l’occasion de régler les crimes de son frère Joannès. En fait, Joannès se trouvait déjà au pilori, comme une de ses propres victimes au Néorion. Mais si l’empereur ne livrait pas Joannès à la justice qu’il méritait, Haraldr trouverait bien un moyen de forcer le prêtre noir à louer le Pantocrator.
    — J’aimerais servir de médiateur entre vous, continua le logothète en se léchant les lèvres. En tant que serviteur de Rome, je me soucie de colmater les brèches qui fissurent en ce moment le gouvernement, et je crois que l’orphanotrophe se trouve justement dans une position qui l’encouragerait à forger des alliances dans des conditions assez favorables à ses nouveaux amis.
    Haraldr vida sa coupe et la tendit à l’eunuque qui attendait.
    — Merci, logothète, ce vin était excellent. Il faudra que vous me disiez où vous le commandez. Vous pourrez répondre à l’orphanotrophe que j’ai bien reçu son… invitation et que je réfléchis à une réponse.
    Haraldr se dirigea vers la fontaine, arrêté au passage par une demi-douzaine de dignitaires. Il regarda avec envie une mouette qui s’élevait vers le ciel et regretta de ne pouvoir jouir de la beauté de cette soirée sans la compagnie harassante de l’élite de Rome dont la cupidité et l’absence de sincérité semblaient augmenter à mesure que l’on s’élevait dans la hiérarchie. Même les femmes semblaient ne plus trouver d’épanouissement dans l’amour et abordaient leurs futures liaisons avec l’intensité lugubre d’un commandant d’escadron blanchi par de nombreuses campagnes. « Certes, il y a des victoires à remporter sur ce