Byzance
se détourna de son chemin. Deux bouchers en tuniques tachées de sang quittèrent la queue d’un apothicaire pour se rapprocher. Le préfet parcourut des yeux le public intemporel des statues couronnant le toit des arcades tout autour du Forum et décida de commencer.
— Enfants de Rome, votre empereur, autocrate et basileus vous salue. Il porte à votre connaissance un nouveau triomphe que le Pantocrator lui a permis de remporter. Une entreprise traîtresse visant à dénier l’autorité du Pantocrator et à renverser son vice-régent, à trancher de son corps éternel sa main sur la terre, vient d’être écrasée par la diligence de votre Père et de ses enfants bien-aimés. Les deux traîtres ont été identifiés, mais avec une miséricorde digne de celle du Christ, nous leur avons épargné un châtiment à la mesure des crimes qu’ils entendaient perpétrer contre votre Père. À la place, ils ont été charitablement relevés de leurs fonctions et invités à se repentir dans le sein du Seigneur. Les noms des deux traîtres sont : Alexios, patriarche de Constantinople, et l’impératrice et augusta, Zoé.
Les quatre ouvriers se regardèrent, incapables d’en croire leurs oreilles. L’un des bouchers devint écarlate. Le préfet sauta en selle, remercia le Père céleste d’avoir créé le cheval au pied léger et sortit du Forum au galop.
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Michel était assis sur son trône dans la salle du Sénat. Ses bottes pourpres s’agitaient convulsivement et ses doigts pianotaient sur les accoudoirs dorés. Quand Scylitzès allait-il enfin fermer sa gueule ? Puis l’empereur s’aperçut avec une satisfaction immense qu’il n’entendait plus les paroles de Scylitzès ; il voyait simplement bouger ses lèvres et pouvait continuer sa conversation privée avec le Pantocrator.
Les sénateurs siégeaient sur plusieurs rangs de part et d’autre de Sa Majesté : les magisters en tunique blanc et or ; les patriciens proconsulaires avec les diptyques de porphyre pourpre de leur dignité posés sur les genoux ; les patriciens avec leurs tablettes d’ivoire. Les têtes blanches des dynatoï acquiesçaient avec un plaisir sénile aux périodes alambiquées dont usait Scylitzès pour approuver sans réserve le coup audacieux de leur maître. Enfin, ce qu’il restait encore de l’héritage du Bulgaroctone était piétiné dans la poussière. Les deux catins nées dans la pourpre se trouvaient bannies d’un seul et même coup. Zoé était en exil ; et le patriarche Alexios, seul homme capable de ramener Théodora au Palais impérial, assiégé dans Sainte-Sophie, serait bientôt obligé à renoncer à son office, son église et ses ambitions pour sa protégée.
— Qui pourrait nier, conclut Scylitzès dans le feu de la grandiloquence, que ce parangon de vertu infinie, ce trésor de mérite sans égal, cet avatar de magnanimité sans limites vient de rejoindre dans la gloire les plus grands empereurs, les Constantin et les Justinien, pour illuminer la terre entière de sa sublime majesté, et que les manifestations de son infatigable imperium, en s’inscrivant sur les voûtes du firmament, viennent de placer son trône superbe parmi les divinités.
Michel hocha la tête pour montrer qu’il avait reçu avec plaisir la bénédiction du Sénat et qu’il était grand temps que ces messieurs s’avancent pour lui baiser les genoux. Et pendant la procession qui suivit, Michel et le Pantocrator purent continuer de discuter de leurs mères. « Tu t’es présenté à ta mère, ta Maria, sous la forme du Saint-Esprit, fit observer l’empereur. Et c’est ainsi que tu t’es engendré toi-même avec ta propre mère. Je visiterai ma mère, ma Maria, avec mon essence sacrée et je m’engendrerai moi-même sans cesse, pendant tous les siècles où Rome régnera sur la terre, jusqu’à ce que nous puissions convoquer le Jugement Dernier. Alors, toi et moi siégerons côte à côte de nouveau sur notre trône doré de la Nouvelle Jérusalem. Alors, je connaîtrai ta mère et tu connaîtras la mienne, et ensemble nous engendrerons l’éternité de leurs reins. »
Michel remarqua que les sénateurs s’en allaient en groupes, les mains croisées sur leur poitrine. Il leur fit signe de disparaître par les vastes portes du fond de la salle. Quand il fut enfin seul avec ses eunuques, ses séraphins et ses chérubins, il se leva de son trône, descendit du dais et dansa en petits ronds sur les dalles de
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