Byzance
des femmes et des enfants de Rome.
— Jamais nous ne pourrons sortir. Vous avez vu leur nombre ?
Métanoïtès tira sur sa barbe noire pendant un moment.
— Nous ferons sortir les Petchenègues par la grille de la façade et nous partirons par l’entrée de derrière, il nous suffira d’enfiler des tuniques ordinaires.
Un quart d’heure plus tard, Constantin déverrouilla la porte de devant et envoya dans la rue deux douzaines de Petchenègues, l’épée nue. Les gémissements se muèrent en hurlements de terreur. Avant de se retourner, Constantin aperçut des taches écarlates. Précédé de Métanoïtès, il traversa au pas de course le vestibule et les cuisines. Le claquement de la porte de derrière fit sursauter plusieurs femmes en train de brûler des ordures dans la ruelle. La fumée fournit une bonne couverture pour les deux fugitifs, qui furent bientôt capables de se mêler à la foule sans être reconnus. Il leur fallut une demi-heure pour traverser la masse jusqu’à la Mésé. La vaste avenue était pleine de marchands et d’artisans en colère, auxquels se mêlaient des portefaix au dos nu, remontés des quais. La plupart se dirigeaient vers le Palais et beaucoup étaient armés d’arcs et de lances. Un gros bonhomme en tunique de laine toute simple courait à en perdre le souffle, une épée rouillée dans son poing rougeaud. Il y avait également des femmes sur la Mésé ; l’une d’elles, un voile de toile sur son visage, passa en gémissant :
— Où est notre Mère, notre beauté, notre noble impératrice ?
Les boutiques des arcades étaient fermées. La foule bloquait toute la place du Milion, au bout de la Mésé. Il y avait de plus en plus de lances au-dessus des têtes. « Où est notre Mère ? » semblait crier chaque visage écarlate de fureur. Métanoïtès trébucha sur une femme entre deux âges, vêtue de noir comme une veuve, qui s’était mise à genoux et se frappait la poitrine de ses poings crispés.
— Ô Théotokos ! Ô Théotokos ! Délivrez notre Mère, gémissait-elle.
— La Mère de Rome, cria une voix d’homme. La Mère née du Bulgaroctone !
Constantin remercia le Pantocrator : sans sa tunique grossière de serviteur, la foule l’aurait reconnu et abattu. À l’entrée de l’Augustaïon, il regarda sur la gauche. L’énorme statue équestre de Justinien dominait un lac de visages gémissants qui déferlait jusque sous les porches de Sainte-Sophie.
— Père céleste ! cria-t-il à Métanoïtès, la ville entière est dans les rues.
Ils aperçurent bientôt les aigles impériales géantes sculptées sur la porte de Chalké. Autour d’eux, les hommes bien armés discutaient de la meilleure façon d’attaquer le Palais. Près de la porte, la foule était si dense que Constantin fut plusieurs fois soulevé du sol. La pression contre sa poitrine le faisait suffoquer. Métanoïtès parvint à se glisser jusqu’à quelques coudées des énormes portes de bronze. Mais jamais il ne pourrait aller plus loin. L’officier, bloqué de tous côtés par la masse en colère, jeta à Constantin un regard désespéré.
— Je connais l’un des gardes, cria Constantin à un colosse rougeaud près de lui. Laissez-moi avancer là-bas, je lui ferai ouvrir la porte.
Le colosse rougeaud cria un ordre à son voisin, et bientôt un groupe de cinq ou six hommes poussa Constantin vers la petite porte de la taille d’un homme qui s’ouvrait dans les portes colossales. Le judas de sécurité avait été arraché. Constantin prit l’anneau de son sceau et le lança par l’ouverture. Un visage se montra.
— Laissez-moi entrer, cria Constantin.
— Laissez-nous entrer, hurlèrent les hommes qui avaient poussé Constantin en avant. Laissez-nous nous occuper de ce porc qui nous a pris notre Mère.
La petite porte s’ouvrit soudain, des bras jaillirent et tirèrent Constantin à l’intérieur. Métanoïtès essaya de le suivre, mais les Khazars ne le reconnurent pas. Leurs épées l’éventrèrent. Le colosse rougeaud chargea lui aussi. Il s’écroula, le cou tranché, et la porte se referma.
La poitrine de Constantin brûlait comme des feux de l’enfer et la tête lui tournait. Il était vivant. Il regretta de ne pas avoir d’or à donner aux Khazars ; quand ils lui rendirent son sceau, il leur promit des présents. Il demanda une escorte jusqu’au Chrysotriklinos. Lorsqu’il parvint à la hauteur de la salle des Dix-Neuf Divans, il
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