Byzance
s’étonna de voir que dans l’enceinte du Palais, tout se déroulait comme de coutume. Les eunuques vêtus de soie et les employés de la bureaucratie sillonnaient paisiblement les allées et les portiques. Une fois seulement Constantin aperçut deux fonctionnaires – de simples secrétaires du sacellaire – qui s’arrêtaient pour discuter du vacarme à l’extérieur des murs, aussi nettement audible qu’un cyclone menaçant.
Michel, assis sur son trône sous le dôme du Chrysotriklinos, écoutait un rapport sur le système de perception des impôts, pratiquement nuls, du thème de Théodosiopolis. Quand il vit Constantin s’avancer dans sa tunique de serviteur dégoûtante, il haussa les sourcils. Il fit un signe à ses eunuques, et l’immense salle se vida sur-le-champ, à l’exception du grand eunuque et des gardes petchenègues avec leurs plaques pectorales dorées et leurs casques à plume.
— Qu’est-ce que vous fabriquez, mon oncle ? demanda Michel comme s’il s’agissait d’une blague. Je suis vraiment déçu que vous n’ayez pas assisté à mon discours devant les sénateurs. Ils ont été vraiment emballés.
— Majesté, c’est un miracle que j’aie pu arriver jusqu’ici avec ma tête sur les épaules. Le capitaine de ma garde est mort. La ville entière est en armes.
Michel écarta l’objection d’un geste de la main.
— Dans ce cas, je vais annoncer un spectacle à l’Hippodrome, et ils seront tous contents.
Constantin s’avança vers le trône.
— Mon neveu, chuchota-t-il, voulez-vous, je vous prie, faire un tour dehors avec moi ?
Le visage de Michel se tordit en une grimace de contrariété enfantine, mais il fit signe à sa garde de l’entourer et il suivit Constantin sous le porche du Chrysotriklinos. L’immense lamentation de la ville monta de l’ouest comme un vent de tempête ; elle était manifestement plus violente qu’à l’arrivée de Constantin quelques instants plus tôt. Michel l’écouta pendant un moment, puis fixa des yeux ses bottes pourpres pendant longtemps, comme s’il se livrait à une conversation intérieure. Il leva les yeux et sourit.
— C’est incroyable, lança-t-il avec effusion, les yeux brillants. Le Pantocrator a déjà envoyé le moyen de nous délivrer de cette racaille.
Constantin dévisagea son neveu d’un air inquiet.
— Oui, mon oncle. C’est vrai. L’ancien hétaïrarque Mar Hunrodarson est revenu nous sauver.
* *
*
L’intérieur de l’Hippodrome était déjà plongé dans la pénombre. Halldor entra le premier dans le vaste stade vide et ses bottes écrasèrent le sable impeccablement ratissé. Il s’avança avec Ulfr vers la spina. L’Étoile bleue les suivait, à califourchon sur un âne. Les Varègues venaient ensuite, puis l’armée de la ville. Les hommes portaient des tuniques grossières de laine et de toile. Certains étaient en haillons, certains en beaux draps grecs. Les hommes armés de lances entrèrent d’abord, puis ceux qui avaient des épées, des bêches, des râteaux, des faux, des hachettes, des arcs, des couteaux de boucher. Ce fut enfin le tour des femmes armées de pierres et de bâtons. Toute la piste fut très vite envahie par ces invraisemblables soldats, et les sièges commencèrent à se remplir.
Halldor montra la loge impériale, très haut sur le côté est du stade. C’était un énorme bâtiment rectangulaire qui s’élevait à une hauteur vertigineuse au-dessus des rangées de sièges, soutenu par d’énormes colonnes de marbre. La tribune de l’empereur ressemblait au portique d’un ancien temple grec, et elle était flanquée de chaque côté par des balcons à balustrades où s’installaient en général les dignitaires. Derrière la tribune impériale se trouvait une longue terrasse plate qui formait un pont reliant l’Hippodrome au Triclinium, situé dans l’enceinte du Palais. Il n’existait aucun accès direct entre la plate-forme de marbre et les sièges au-dessous – à moins de grimper le long des colonnes de marbre. Mais de toute manière, des unités en armure des Hyknatoï impériaux attendaient déjà sur les balcons.
— Ces balcons sont l’endroit où la bataille sera gagnée ou perdue, expliqua Halldor à l’Étoile bleue. Ils constituent une excellente plate-forme pour les défenseurs, mais si nous parvenons à nous en emparer, ils deviendront la tête de pont de notre attaque du Palais entier. C’est de toute évidence la
Weitere Kostenlose Bücher