Byzance
rejaillir sur la dignité impériale. Mais ce lien de sang n’est rien à côté des liens du cœur.
Elle se jeta dans ses bras et le serra très fort.
— Vous sentez mon cœur et le vôtre ? dit-elle, le souffle court. Ils battent ensemble.
* *
*
— Petite fille ! lança Zoé. Il m’a dit que tu allais venir. Et je dois maintenant le partager avec toi.
Le petit crucifix d’ivoire était presque entièrement dissimulé entre les mains délicates de Zoé, mais la minuscule tête blanche couronnée d’une auréole d’or dépassait ses pouces. Zoé regarda Maria comme un enfant sur le point de partager un secret.
— Cette petite figurine est extraordinaire, ma fille. Tu le comprendras quand elle te parlera.
Maria suivit Zoé dans sa chambre torride, espérant que le petit crucifix ne serait qu’un autre caprice inoffensif de l’impératrice. Le lustre allumé contribuait à l’atmosphère infernale de la pièce aux volets clos. Zoé fit signe à Maria de monter sur le lit à côté d’elle. Elle releva l’ourlet de son scaramangium serré et s’assit en tailleur, la figurine d’ivoire encore entre ses mains.
— C’est une chose extraordinaire, petite fille. Fais le silence complet.
Zoé se pencha et porta la petite tête d’ivoire près de ses lèvres rouge sang.
— Ma beauté pâle, chuchota-t-elle. Mon précieux être éternel, créature de lumière. Mon chéri, mon amour, mon enlacement le plus doux. Parle-nous.
Elle se tut et posa un baiser sur la tête minuscule.
— Ma petite fille va s’embarquer en voyage. Beauté bénie, dis-nous si cet avenir est propice pour elle.
Zoé se mit à se balancer légèrement d’avant en arrière, sans lâcher la figurine, en embrassant de temps en temps son auréole d’or. Au bout d’un long moment, elle écarta les doigts avec précaution et examina la figurine, révélée dans sa totalité. Le changement qui se produisit sur le visage de l’impératrice fut extraordinaire : ses yeux parurent s’enfoncer dans leurs orbites et ses joues se contracter comme si elle devenait lentement un cadavre. Elle enfouit soudain la figurine dans ses mains tremblantes et s’en frappa la poitrine.
— Ô sainte beauté ! cria-t-elle. Ô esprit divin. Ô lumière pure. Je la sauverai de ce destin même si je dois l’enchaîner ici dans cette pièce. Ô ma beauté, pourquoi as-tu révélé cette vision horrible sinon pour me permettre de la sauver ! Sois béni, sois béni…
Zoé se tourna vers Maria, des larmes coulaient sur ses joues pâles. Maria la prit dans ses bras et posa la tête sur son épaule.
— Ô Mère, vous me manquerez énormément vous aussi.
Si j’avais pensé qu’une prophétie puisse apaiser notre chagrin de cette séparation, j’aurais fait venir ici des diseurs de bonne aventure et toutes les chiromanciennes de l’Hippodrome. J’emporte avec moi mes propres pressentiments. Je vous en prie, permettez-moi d’effacer mes craintes en bénissant mon départ.
Zoé s’arracha à l’étreinte de Maria.
— Cette statue est extraordinaire, dit-elle comme si elle expliquait le bon sens à un enfant rebelle. Je ne prétends pas qu’elle parle vraiment. Mais si votre voyage était béni par les dieux, elle se serait mise à briller du feu radieux des séraphins célestes. Je ne peux pas croire que vous remettiez en question une vérité pareille. Ne vous ai-je pas vue plus d’une fois écarter un amant sans défaut à la suite d’un pressentiment suggéré par la première chiromancienne venue ?
— Je crois encore au destin, ma Mère, mais pas au destin égoïste que je vénérais naguère. J’ai embrassé le destin qui constitue maintenant ma vie, et je ne le laisserai pas partir.
— Même s’il te conduit à la mort ? lança Zoé d’une voix qui possédait de nouveau le timbre de la raison. Mon enfant, ces hommes sont des sauvages. Je sais qu’ils paraissent aussi charmants que des léopards enchaînés et parfumés quand nous les faisons parader devant nous, mais dans leurs demeures glacées, ils retournent à leur état de bêtes. Tu finiras enfermée dans une cage avec une ménagerie de leurs catins. Tu périras de la brutalité de leur vie. Je te le dis parce que je t’aime.
— Je sais que vous m’aimez, Mère. Mais vous avez connu ces hommes et vous ne pouvez pas penser ce que vous dites d’eux. Mère, ajouta-t-elle les yeux en feu, je sais que Haraldr et vous avez été amants. Il ne vous a
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