Byzance
La ville… Il se leva brusquement. Ses yeux firent le point. De la glace. Les Griks avaient réussi à sculpter une pièce dans de la glace. La lumière blanche et pure, plus diffuse que le jour mais presque aussi claire, déconcerta Haraldr un instant. Puis il posa la main sur ses yeux, se concentra et ramena son esprit. La glace était de la pierre. Une pierre incroyable.
Un marbre blanc éblouissant avec de sinueuses veines bleues. Sa tête ballotta. La lumière qui faisait briller le marbre semblait venir de très haut. Il leva les yeux. Il y avait toute une rangée de fenêtres à une hauteur impossible.
— Vous n’auriez pas dû résister.
Le visage de grenouille de Jean le regardait mais ses paroles exprimaient les pensées du topotérétès, qui se pencha vers Haraldr, visiblement soucieux.
— Le bandeau n’était qu’une simple précaution.
« Contre quoi ? se demanda Haraldr qui commençait à retrouver son équilibre. Pour m’empêcher de voir quoi ? Pour que je ne connaisse pas le chemin de… ? Mais où suis-je exactement ? » Haraldr se frotta la tête et regarda autour de lui. Des dizaines d’eunuques bien habillés allaient et venaient dans la salle en discutant entre eux et avec des soldats, quatre ou cinq Sarrasins à la peau sombre, et plusieurs gros bonshommes à la tête rasée, en tuniques de laine à peine meilleures que celles des esclaves dans le Nord.
Un eunuque extrêmement mince avec un visage pâle et curieusement flasque interrompit brusquement sa conversation et s’avança d’un pas délicat vers le topotérétès. D’un simple regard de ses yeux noisette, très rapprochés, l’eunuque parvint à percer le topotérétès sans le voir, à exprimer un soupçon de mépris pour l’interprète vêtu de noir et a éliminer totalement la présence de Haraldr. Il posa une main sur sa hanche osseuse, et tendit des doigts d’insecte de l’autre. Le topotérétès y posa les documents. L’eunuque déplia le paquet du bout des doigts comme si les pages venaient d’être trempées dans du fumier. Sa réaction fut moins vive que celle des autres. Il feuilleta rapidement le document violet lui-même, mais s’arrêta sur une feuille de couleur normale. Une phrase qu’il lut fit frémir légèrement ses sourcils, qui semblaient maquillés. Ce fut sa seule réaction. Sans un mot il replia le paquet, tourna le dos et s’éloigna.
— Suivez-le, ordonna Jean l’interprète de sa voix la plus amère. Et plus de vos mauvais tours de Barbare.
L’eunuque ne se retourna pas une seule fois pour voir si Haraldr le suivait. Il sortit de la salle, longea de longs corridors sombres dallés de marbre, et s’arrêta devant une double porte de bois, décorée de filets d’or. Il tira sur un cordon de soie jaune qui pendait près de l’embrasure. À la surprise de Haraldr, les portes s’ouvrirent en silence, comme si elles glissaient sur des rainures graissées. Sans même regarder Haraldr, l’eunuque tourna les yeux vers l’ouverture.
La salle était claire, et curieusement chaude et humide ; des bancs de marbre et des compartiments s’alignaient le long des murs. Deux adolescents en tunique blanche courte attendaient près des portes.
— Vêtements, dit l’un d’eux en langue du Nord avec un très fort accent.
D’un geste il fit signe à Haraldr d’enlever ses vêtements. « On ne baigne pas un homme avant de le jeter en prison », se dit Haraldr, visiblement soulagé. Mais il gardait l’impression que la mort hantait les lieux, en dépit des parfums et des robes de soie. Il se rappela les paroles de Gleb. Les Griks n’étaient droits et francs en rien.
Il se déshabilla et on le conduisit vers une porte au fond de la salle. Une bouffée d’air brûlant, chargé de vapeur, l’accueillit. La vaste salle surmontée d’une coupole était presque entièrement occupée par une piscine d’un bleu lumineux. Au fond de la piscine se trouvait un paysage scintillant : un jardin vert composé de minuscules pièces de mosaïque.
Haraldr prit un plaisir sans réserve à ce bain : depuis combien de temps n’avait-il pas pris de sauna ? La douleur de sa nuque s’apaisa et il reprit complètement ses esprits. « Repousse ta frayeur, se dit-il. Songe que tu es le chef de cinq cents Varègues, non un criminel condamné. Tu étais à leur merci dans la rue, et regarde où te voici. Tu possèdes l’instrument dont ils ont besoin, et ils ont manifestement la richesse
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