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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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été militaire. Il se fait appeler lieutenant, mais le
gargotier ne sait pas s’il l’est.
    — Il a de l’argent ?
    — Plutôt.
    — De quoi ont-ils parlé ?
    — Ce Taibilla connaît des gens qui font entrer et
sortir les étrangers. Ou peut-être qu’il les fait passer lui-même… Ça non plus,
je ne le sais pas.
    — Par exemple ?
    — Un esclave noir, un jeune. En fuite. Ils lui
cherchent un bateau anglais.
    — Gratis ?… Ça m’étonne.
    — Je crois qu’il a emporté l’argenterie de son maître.
    — Je comprends mieux. Sinon, tout ce travail pour un
nègre…
    Tizón prend note mentalement de tout. Il est au courant de
l’affaire – le marquis de Torre Pacheco s’est plaint, il y a une semaine,
de la fuite de l’esclave et du vol de l’argenterie – et l’information peut
lui être utile. Rentable, aussi. Une de ses recettes éprouvées est de ne pas
montrer un intérêt excessif pour ce qu’on lui raconte. Cela fait monter le prix
de la marchandise, et il aime acheter bon marché.
    — Donne-moi quelque chose de plus consistant. Continue.
    Le gargotier regarde sa femme qui feint de poursuivre son
labeur devant l’évier. Ces gens se sont aussi occupés, dit-il en baissant la
voix, d’une famille qui se trouve à El Puerto de Santa María et qui veut entrer
dans Cadix : un fonctionnaire de Madrid avec sa femme et leurs cinq
enfants, disposé à payer pour la traversée et les lettres de résidence, si on
les leur procure.
    — Combien ?
    — J’ai cru entendre mille réaux et des poussières.
    Le commissaire sourit intérieurement. Il aurait arrangé
l’affaire du Madrilène pour la moitié de cette somme. D’ailleurs, il le
pourrait peut-être encore, s’il lui mettait la main au collet. Un des
innombrables avantages par rapport à des chevaliers d’industrie tels que
l’homme au bandeau sur l’œil est que, comparés aux prix pratiqués par cette
engeance, les siens sont imbattables. Garantis en outre par une respectabilité
officielle transparente, avec tampon authentique, et sans le moindre trucage.
Puisque c’est Tizón en personne qui certifie la validité de ces papiers.
    — Et qu’est-ce qu’ils ont dit aussi ?
    — Pas grand-chose d’autre. Ils ont mentionné un
mulâtre.
    — Allons bon. Ç’a été une nuit de moricauds à ce que je
vois… Et ce mulâtre ?
    — Encore un qui circule beaucoup. Apparemment, il fait
l’aller-retour entre ici et El Puerto.
    Tizón enregistre le détail, tout en soulevant son chapeau
pour éponger la sueur. Il a déjà entendu dire que ce mulâtre, patron d’une
barque, faisait de la contrebande entre les deux rives, comme bien
d’autres ; mais pas qu’il faisait passer des gens. Il faudra enquêter sur
cet individu, conclut-il. Voir avec qui il est de mèche et quels endroits il
fréquente.
    — Et de quoi s’agissait-il ?
    Le gargotier fait un geste vague.
    — Quelqu’un veut aller retrouver sa famille de l’autre
côté… J’ai cru entendre que c’est un militaire.
    — De Cadix ?
    — C’est ce que j’ai compris.
    — Soldat ou officier ?
    — Officier, je crois.
    — Ça, au moins, c’est du solide… Tu as entendu son
nom ?
    — Là, vous m’en demandez trop.
    Tizón se gratte la moustache. Un officier disposé à passer à
l’ennemi est toujours dangereux. Il arrive là-bas, il parle beaucoup pour se
faire bien voir, et de la désertion à la trahison le pas est vite franchi. Et
même si les déserteurs relèvent de la cour martiale, tout ce qui concerne
l’information et l’espionnage transite par son service. Particulièrement en ce
moment, alors que l’on croit voir des espions partout. À Cadix et dans l’Île,
les patrons de barques qui transportent des déserteurs sont passibles de
lourdes peines, et il est interdit de débarquer un émigré sans l’avoir fait
passer au préalable par le bateau de la Douane mouillé dans la baie. À terre,
tout propriétaire d’une pension, d’une auberge ou d’une maison particulière est
tenu d’informer de l’arrivée de nouveaux hôtes ; et pour circuler dans la
ville, il faut être porteur d’une lettre délivrée par les autorités. Tizón sait
que le gouverneur Villavicencio tient prêt un arrêté de police encore plus
énergique, prévoyant la peine de mort pour les infractions graves, mais qu’il
en retarde la publication. Dans les circonstances présentes, une rigueur portée
à l’extrême signifierait

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