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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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prêchées.
    — Le peuple ?… Tu viens de mettre le doigt sur
l’abcès, mon enfant, affirme doña Concha. Ce que veulent ces gens, c’est une
république de guillotineurs et de mangeurs de curés qui mette la monarchie en
prison. Et l’une des manières d’y parvenir est de concurrencer l’Église.
Changer la chaire, comme tu dis, pour la scène du théâtre. Et de là, prêcher à
leur façon. Tout pour la nation souveraine, comme ils l’appellent maintenant,
et pratiquement rien pour la religion.
    — Les libéraux ne s’opposent pas à la religion. Presque
tous ceux que je connais vont à la messe.
    — Mais bien sûr ! – Dona Concha promène
autour d’elle un regard triomphant. – À l’église du Rosaire, parce que le
curé est des leurs.
    Curra Vilches ne se laisse pas démonter.
    — Et les autres vont à la vieille cathédrale,
répond-elle avec aplomb. Parce qu’on y prêche contre les libéraux.
    — Tu ne vas quand même pas comparer, ma petite.
    — En tout cas, moi, je trouve que le théâtre
patriotique, c’est bien, déclare Julia Algueró. C’est une bonne chose
d’apprendre au peuple les vertus de la citoyenneté.
    Dona Concha se tourne vers sa bru qu’elle fusille du regard.
C’est ainsi que les choses ont commencé en France, grogne-t-elle, et on connaît
le résultat : souverains guillotinés, églises pillées, une populace qui ne
respecte rien. Et pour finir, Napoléon. Cadix, ajoute-t-elle, a été aux premières
loges pour voir ce dont est capable le peuple déchaîné. Rappelez-vous le pauvre
général Solano, ou des incidents du même ordre. La liberté d’imprimer n’a fait
qu’empirer les choses, avec tous ces pamphlets qui circulent, les libéraux et
les antiréformistes qui se querellent comme des chiffonniers, et les journaux
qui soufflent de l’huile sur le feu.
    — Le peuple a besoin d’instruction, intervient Lolita
Palma. Sans elle, pas de patriotisme.
    Dona Concha la dévisage longuement, comme d’habitude. Avec
un mélange singulier d’affection et de désapprobation en l’entendant s’exprimer
sur ces sujets. Lolita sait que, malgré le passage des ans et la réalité
quotidienne, sa marraine n’accepte pas l’idée qu’elle ne soit pas mariée. Quel
dommage, confie-t-elle régulièrement à ses amies. Cette fille, à son âge. Qui
était tout sauf laide. Et qui continue de ne pas l’être. Avec cette tête
remarquable et cette intelligence pour mener sa maison, le commerce et le
reste. Pourtant, rien à faire. Elle finira vieille fille, la pauvre petite.
    — Parfois, tu parles comme ces imbéciles du café
d’Apollon, ma fille… Ce dont le peuple a besoin, c’est qu’on lui donne à
manger, et qu’on lui fasse entrer dans le crâne la crainte de Dieu et le
respect de son roi légitime.
    Lolita Palma sourit avec une extrême douceur.
    — Il y a d’autres choses, marraine.
    Dona Concha a posé la pelote et les fuseaux et s’évente très
fort, comme si la conversation et la chaleur du brasero finissaient par la
faire suffoquer.
    — C’est possible, admet-elle. Mais aucune n’est
convenable.
     
    *
     
    Les éclats de bois de pin qui brûlent à côté du pit
répandent une fumée résineuse et sale qui irrite les yeux. Leurs flammes
éclairent mal l’arène et mettent des tons rouges sur la peau luisante des
hommes qui font cercle autour du rond de sable où combattent deux coqs :
plumes écourtées jusqu’à la naissance de leur tige taillée en biseau, ergots
armés de pointes d’acier, becs tachés de sang. Les hommes crient de joie ou de
déception à chaque assaut et chaque coup de bec, misant de l’argent selon les
aléas de la lutte.
    — Jouez le noir, mon capitaine, conseille le lieutenant
Bertoldi. Nous ne pouvons pas perdre.
    Adossé à la palissade qui entoure le pit, Simon Desfosseux
observe la scène, fasciné par la violence qui se dégage des deux animaux en
lice, l’un rouge vif et l’autre noir avec un collier de plumes blanches
hérissées par le combat. Une vingtaine de soldats français et des Espagnols des
milices de Joseph Bonaparte les excitent. Au-dessus de l’enceinte de planches
dépourvue de toit s’étend le ciel étoilé et se dresse le dôme sombre, fortifié,
de l’ancien ermitage de Santa Ana.
    — Le noir, le noir, insiste Bertoldi.
    Desfosseux n’est pas sûr que ce soit le bon choix. Quelque
chose, dans l’expression impassible du propriétaire du rouge, lui

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