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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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conseille
d’être prudent. C’est un Espagnol maigre aux cheveux gris, l’allure d’un Gitan,
peau sombre et regard impénétrable, accroupi au bord de la piste. Trop
indifférent, à son goût. Ou bien le coq et l’argent lui importent peu, ou bien
il garde un atout dans sa manche. Le capitaine français n’est pas un expert en
combats de coqs ; mais il en a vu quelques-uns en Espagne et sait qu’un
animal ensanglanté et affaibli peut soudain ressusciter et, d’un coup de bec
bien ajusté, expédier son adversaire les pattes en l’air. Certains, même, sont
entraînés à ça. À faire semblant d’être exténués et sur le point d’expirer,
jusqu’au moment où les paris ont suffisamment monté en faveur de l’autre, pour
ensuite attaquer à mort.
    Les spectateurs hurlent de plaisir quand le rouge recule
devant une attaque féroce de son ennemi. Maurizio Bertoldi s’apprête à se
frayer un passage pour ajouter quelques francs de plus à sa mise, mais
Desfosseux le retient par le bras.
    — Misez sur le rouge, dit-il.
    L’Italien regarde, déconcerté, le napoléon d’or que son
supérieur vient de lui mettre dans la main. Desfosseux, grave et très sûr de
lui, insiste.
    — Croyez-moi.
    Bertoldi acquiesce, après une hésitation. Se décidant, il
ajoute une demi-once personnelle au napoléon et remet le tout au responsable du
pit.
    — J’espère ne pas avoir à m’en repentir, soupire-t-il
en revenant.
    Desfosseux ne répond pas. D’ailleurs, il ne suit plus le
combat. Son attention est attirée par trois hommes de l’assistance. Ils ont vu
luire les pièces dans la bourse en cuir que le capitaine garde dans une poche
de sa capote et l’observent avec une fixité peu rassurante. Ils sont tous les
trois espagnols. L’un est habillé en civil, espadrilles et cape rayée sur les
épaules, et les autres portent la veste de drap brun à liseré rouge, le
pantalon et les guêtres des milices rurales qui servent de troupes auxiliaires
à l’armée française. Il s’agit souvent d’individus pour le moins douteux, de
mercenaires peu fiables : ex-guérilleros, malfaiteurs ou contrebandiers –
les différences ne sont jamais claires en Espagne –, qui ont prêté serment
au roi Joseph et persécutent maintenant leurs anciens camarades en échange
d’une prime du tiers de ce qu’ils ont pris à l’ennemi et aux délinquants, réels
ou inventés. Ainsi, jouissant de l’impunité, cruels, versatiles, prompts à
infliger toutes sortes d’abus et de vexations à leurs compatriotes, ces
miliciens s’avèrent parfois plus dangereux que les rebelles eux-mêmes, avec qui
ils rivalisent en exactions sur les routes, dans les champs et les fermes,
volant et pillant la population qu’ils disent protéger.
    En contemplant les trois visages sévères et sombres, le
capitaine Desfosseux évoque une fois de plus les deux traits qu’il considère
propres aux Espagnols : le désordre et la cruauté. À la différence des
soldats anglais et de leur bravoure, constante, inhumaine et intelligente, ou
des Français, toujours résolus dans le combat, même s’ils sont loin de leur
terre natale et ne se battent souvent que pour l’honneur du drapeau, les
Espagnols continuent de lui apparaître comme un mystère fait de
paradoxes : courage contradictoire, lâcheté résignée, ténacité
inconstante. Durant la Révolution et les campagnes d’Italie, les Français, mal
armés, déguenillés et sans instruction militaire, se sont rapidement
transformés en vétérans jaloux de la gloire de leur patrie. Tandis que les
Espagnols, comme s’ils étaient habitués de façon atavique à accepter les
désastres et à se méfier de ceux qui les commandent, fléchissent au premier
choc, se décomposent et cessent d’être une armée organisée dès le début d’une
bataille ; et pourtant, malgré cela, ils sont capables de mourir
fièrement, sans une plainte et sans demander quartier, aussi bien en petits
groupes ou en combat singulier que dans les grands sièges, se défendant avec
une stupéfiante férocité. Montrant après chaque défaite une persévérance et une
facilité extraordinaires pour se réorganiser et repartir au combat, toujours
résignés et vindicatifs, sans jamais manifester d’humiliation ou de lassitude.
Comme si combattre, être battus, fuir et se regrouper pour combattre encore et
être encore battus était la chose la plus naturelle du monde. Eux-mêmes
appellent ça « le

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