Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
place ou
sont sur le point de le faire. De Cadix, on envoie ce qu’on peut, mais il n’y a
pas grand-chose. Les bateaux manquent, et les Anglais, bien qu’ils aient un
colonel et quelques troupes à l’intérieur, ne veulent rien soustraire de leurs
forces. Il y a surtout un problème de liaisons, pour envoyer et rapporter des
messages. Le commandant de la baie, don Cayetano Valdés, dit qu’il ne peut pas
se séparer d’un seul bateau, pas même une chaloupe canonnière.
Bref, termine-t-il, la Culebra est intégrée dans la
Marine royale pour un mois.
— Ce qui veut dire qu’ils la réquisitionnent ?
— Ils ne vont pas jusque-là.
— Et pour faire quoi ?
— Messages et courrier officiel avec Tarifa. La Culebra est rapide et manœuvre bien… La chose a sa logique.
Lolita Palma ne semble pas trop s’inquiéter. Il en déduit
qu’elle a sûrement déjà eu des informations là-dessus. On a dû la prévenir.
— Vous gardez le commandement, je suppose.
Lobo sourit, confiant.
— Pour le moment, personne ne m’a dit le contraire.
— Ce serait un abus. Nous ne pourrions y consentir sans
la compensation adéquate… Et la Marine est incapable de verser la moindre
compensation. Elle est en banqueroute, comme tout le reste… Ou pire.
C’est aussi l’opinion des Sánchez Guinea, précise calmement
le corsaire. De toute manière, il doute qu’on le remplace au commandement du
cotre. Les officiers ne sont pas non plus en surnombre, avec toutes les forces
disponibles affectées aux flottilles légères de la baie et des canaux.
— En tout cas, ajoute-t-il, le roi couvre les frais
d’équipement et de solde pour l’équipage, et ils prorogent notre lettre de
marque pour le temps que durera le service… Pour la solde, en vérité, je n’y
crois guère. Eux-mêmes ne touchent plus la leur. Mais, au moins, ils ne
pourront pas nous refuser des équipements. Nous en profiterons pour nous
réapprovisionner en poudre, en ravitaillement et réparer le gréement.
J’essaierai aussi d’obtenir des platines pour les canons.
Lolita Palma approuve en réfléchissant. Son changement de
ton dès qu’ils ont parlé de questions officielles n’a pas échappé à Pepe Lobo.
Plus dur, impersonnel. Presque métallique. Le corsaire lance un coup d’œil
furtif sur sa droite. Elle marche en regardant devant elle, en direction du
rempart qui s’étend au bout de la rue. Un joli profil, constate Lobo. Même si belle, mot qu’il convient d’employer pour une femme, ne soit pas, dans ce cas, le
plus approprié. Le nez est peut-être un peu trop droit, volontaire. La bouche
peut être dure, en apparence. Douce aussi, sans doute. Cela dépend de son
humeur. De la personnalité de celui qui l’embrasse. Durant quelques pas, il
s’abîme dans cette question : quelqu’un a-t-il déjà un jour embrassé cette
bouche ?
— Quand partiriez-vous, capitaine ?
Le corsaire sursaute presque. Quel idiot je fais,
pense-t-il – ou se reproche-t-il.
— Je l’ignore. Bientôt, je suppose… Dès que j’en aurai
reçu l’ordre.
Leur marche les a conduits sur la place des Puits à Neige.
L’Alameda s’étend sur la gauche, grands palmiers et arbustes dépouillés de leur
feuillage par l’hiver alignés en trois files parallèles le long du rempart,
jusqu’aux tours de l’église du Carmel et la silhouette ocre du bastion de la
Candelaria, qui s’avance comme la proue d’un bateau dans la mer couleur de
cendre.
— Bien. – Lolita Palma fait un geste de
résignation. – Je ne crois pas que nous puissions l’empêcher… En tout cas,
je me chargerai de l’assurance, pour avoir les garanties nécessaires. Avec la
Marine royale, on ne sait jamais. Don Cayetano Valdés est un homme peu commode,
mais qui sait se montrer raisonnable. Je le connais de longue date… Il rêve
d’être gouverneur et lieutenant général de Cadix, s’il est confirmé que
Villavicencio passe à la nouvelle Régence après Noël, comme cela se murmure.
Ils se sont arrêtés sur le rempart, près des premiers arbres
et des bancs de pierre de l’Alameda. De là, on voit la mer comme une étendue à
peine mouvante, plombée et froide. Pas un souffle de vent n’en ride la surface
qui va se fondre dans une bande de brume et de nuages bas couvrant la côte et
cachant Rota et El Puerto de Santa María. Lolita Palma pose ses mains gantées
sur le pommeau d’ébène et d’ivoire de son parapluie noir.
— Je me suis
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