Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
chez Lolita Palma.
— Bienvenue sur la terre ferme.
Pepe Lobo se découvre en justifiant sa présence en ce lieu.
Des démarches officielles en cours doivent être réglées aujourd’hui, et don
Emilio Sánchez Guinea lui a demandé de la consulter avant d’aller plus loin. Il
peut l’accompagner jusqu’à son bureau, si elle le souhaite. Ou attendre qu’elle
le reçoive à l’heure qui lui conviendra. Pendant qu’il lui donne ces
explications, le corsaire la voit lever la tête et observer le ciel gris.
— Si vous voulez bien, nous parlerons tout de suite.
Avant que la pluie ne commence à tomber… J’ai l’habitude de me promener un peu,
à cette heure-ci.
Lolita Palma congédie la femme de chambre qui s’éloigne avec
les paquets pour rentrer rue du Bastion, et reste à le regarder, comme si, à
partir de cet instant, c’était à lui de décider. Après une hésitation, Lobo
propose, avec un geste de la main, deux possibilités : ou la pâtisserie
voisine, ou la rue du Chemin, qui mène à l’Alameda, aux remparts et à la mer.
— Je préfère l’Alameda, dit-elle.
Le corsaire acquiesce en remettant son chapeau, encore un
peu embarrassé. Irrité contre lui-même, et amusé – étonné, plus qu’amusé,
serait le mot exact – par cette irritation. Par la douce incertitude qu’il
sent lui chatouiller les mains et les yeux. Qui lui enroue la voix. À son
âge ! Jamais auparavant, même les plus belles femmes ne l’ont intimidé de
la sorte. C’est surprenant. Le regard serein qu’il a devant lui, la tranquille
assurance de la femme – sa patronne et associée, se répète-t-il deux fois
en soutenant ce regard – lui causent une sensation agréable de bien-être
complice. Partagé. Une douce proximité, étrangement possible, comme s’il
suffisait de tendre simplement une main et de la poser sur le cou de Lolita
Palma pour y sentir, de la façon la plus naturelle, le battement de son sang et
la délicate chaleur de sa chair. Avec un éclat de rire intérieur – un
instant, elle semble lui jeter un coup d’œil interrogateur, et il craint que
l’idée ou le rire imaginaire ne soient réellement apparus sur son
visage –, le corsaire laisse cette pensée absurde partir au fil de l’eau
et disparaître, pour recouvrer tout son bon sens.
— Vraiment, cela ne vous ennuie pas de marcher,
capitaine ?
— Bien au contraire.
Ils marchent au milieu de la rue, sur la partie pavée, lui à
sa gauche, tandis qu’il la met au courant. La campagne n’a pas été mauvaise,
résume-t-il non sans un effort de concentration. Cinq captures, dont une
d’importance : une goélette française qui, sous pavillon portugais, allait
de Tarragone à Sanlúcar avec du drap de qualité, du cuir pour chaussures, des
selles de chevaux, des balles de laine et du courrier. Celui-ci a été remis par
Lobo aux autorités maritimes, mais tout semble indiquer que le bateau et sa
cargaison seront déclarés de bonne prise. Les quatre autres sont de moindre
valeur : deux tartanes, une pinque et une felouque avec des harengs, des
raisins secs, des cercles de fer pour la fabrication des tonneaux et du thon
salé. Pas grand-chose de plus. La felouque, un contrebandier portugais de Faro,
transportait un sac contenant deux cent cinquante pièces d’or à l’effigie du
roi Joseph.
— Il se pourrait, conclut-il, que la felouque nous pose
quelques problèmes devant le tribunal des prises. C’est pourquoi nous avons
pris nos précautions en déposant l’or sous scellés à Gibraltar, de manière à ce
que personne n’y touche.
— Vous avez rencontré des problèmes avec ce bateau ou
avec les autres ?
— Non. Tous ont amené leur pavillon immédiatement.
Seule la felouque a voulu nous leurrer, au début, en se croyant protégée par
son pavillon, après quoi elle a tenté sa chance en fuyant, entre Tarifa et le
cap Carnero. Mais elle n’a pas fait usage des deux canons de 4 qu’elle portait
à son bord.
— Et nos hommes vont bien ?
Il apprécie qu’elle ait dit nos hommes et pas vos hommes.
— Ils vont tous bien, merci.
— Quelle est cette affaire à propos de laquelle vous
deviez me consulter ?
Les Français renforcent leur pression sur Tarifa,
explique-t-il, comme ils l’ont fait à Algésiras. Ils semblent disposés à
contrôler toute cette partie de la côte. On parle du général Leval et de dix ou
douze mille soldats, avec cavalerie et artillerie, qui assiègent la
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