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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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les yeux. Un
instant, pas plus. Durant ce très court laps de temps, le taxidermiste conçoit
l’espoir que tout cela ne soit qu’un malentendu. Dont l’objet ne serait pas
lui, mais un autre. Une erreur policière, judiciaire. La plainte d’un voisin.
Ou n’importe quoi d’autre. Mais ce qu’il entend ensuite le ramène à la réalité.
    — Je vais vous conter quelque chose, camarade. –
Le policier s’est penché sur le poêle, il en ouvre le volet, y jette un coup
d’œil et le referme. – Jeudi dernier, à six heures du matin, en exécution
de la sentence d’un conseil de guerre très sommaire, le Mulâtre a subi le
garrot dans les fossés du château de San Sebastián… Évidemment, vous n’en avez
rien lu dans les journaux. L’affaire était délicate et a été jugée à huis clos,
comme toujours en pareil cas.
    Tout en parlant, il se dirige vers la porte de la terrasse
qu’il ouvre pour regarder l’escalier. Puis il la referme précautionneusement,
fait quelques pas dans le cabinet et s’arrête devant le singe empaillé exposé
dans une vitrine.
    — J’y étais au petit jour, poursuit-il. Nous étions trois
ou quatre. Le Mulâtre s’est laissé cravater avec beaucoup de calme, soit dit en
passant. Les contrebandiers sont des gens rudes. Et il n’a pas fait exception.
Mais toute chose a ses limites.
    Pendant que le policier parle, sans se presser, Fumagal fait
un pas pour contourner la table et s’approcher du tiroir où se trouve la
solution d’opium. Hasard ou propos délibéré, l’autre s’interpose entre lui et
la table.
    — Nous avons eu quelques conversations fort intéressantes,
le Mulâtre et moi. On pourrait même dire qu’à la fin nous sommes arrivés à un
point d’accord raisonnable…
    Le policier s’interrompt un moment et sa bouche se tord en
un semblant de sourire de loup, éclat de la canine d’or compris. Puis il ajoute :
    — On y arrive toujours, je vous le certifie. À ce
point. Toujours.
    Le dernier mot a rendu un son sinistre, comme une promesse.
Après une autre pause, le policier continue. Le Mulâtre, dit-il, a parlé de
Fumagal. Et beaucoup : les pigeons, les messages, les traversées de la
baie, les Français et tout le reste. Après cela, lui-même est allé dans la
maison pour jeter un coup d’œil. Il s’est intéressé aux papiers, et il a aussi
vu le plan de la ville, avec tous ces traits et ces marques. Très intéressant,
effectivement.
    — Vous les avez toujours ?
    Fumagal ne répond pas. L’autre pose un regard résigné sur le
poêle brûlant.
    — Dommage. J’avais espéré. Une erreur. Mais il y avait
d’autres aspects… Je devais être sûr, comprenez-moi. Vous donner une autre…
enfin… vous savez, camarade : une nouvelle occasion.
    Il se tait, songeur. Puis il lève la canne et en approche la
tête de bronze de la poitrine de Fumagal, sans cependant la toucher.
    — Vraiment, vous n’avez pas lu Sophocle ?
    Encore ! Qu’est-ce qu’il me veut, avec son
Sophocle ? Ça ressemble à une blague absurde, dont il ne parvient pas à
imaginer le but. En dépit de la précarité de sa situation, il commence à se
sentir irrité.
    — Pourquoi me demandez-vous ça ?
    Le policier rit, dents serrées, en balançant sa canne.
Sombre. Il n’y a pas d’humour dans ce rire sinistre de très mauvais augure,
constate Fumagal. Furtivement, il lance un dernier regard au tiroir fermé du
bureau. Désormais, et à tout jamais, si loin.
    — Parce qu’un bon ami à moi va bien se moquer, quand je
le lui raconterai.
    — Est-ce que je suis arrêté ?
    L’autre l’observe un moment, immobile. L’air surpris.
    — Mais oui. Bien sûr que vous l’êtes… Qu’est-ce que
vous imaginiez ?
    Alors, sans crier gare, il lève sa canne et frappe très fort
sur le marbre de la table, trois fois. Au bruit, les deux hommes qui étaient
dans l’escalier accourent. Du coin de l’œil, Fumagal les voit se figer sur le
seuil, en attente. Le policier s’est approché tout près de lui, à tel point
qu’il peut sentir son haleine épaisse, de tabac et de mauvaise digestion. Les
yeux aigus et méchants fixent les siens, et la lueur de haine qu’il y avait lue
tout à l’heure réapparaît sans dissimulation. Effrayé – pour la première
fois –, le taxidermiste fait un pas en arrière. Il s’agit d’une panique physique,
à l’état brut. Il a peur que l’homme ne le frappe avec la lourde tête de la
canne.
    — Je

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