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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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le noir une légère phosphorescence violette.
Lolita entend le cousin se resservir du cognac d’une carafe qui doit être à
portée de sa main. Un moment, ils restent sans parler, dans l’attente que
s’installent définitivement les ténèbres. Puis elle se lève du divan, cherche à
tâtons une boîte d’allumettes Lucifer et la lampe à pétrole qui est posée sur
la commode, soulève le tube de verre et enflamme la mèche. Ce faisant, elle
éclaire les tableaux sur les murs, les meubles en acajou sombre et les vases
contenant des fleurs artificielles.
    — Ne fais pas trop de lumière, dit le cousin Toño. On
est bien ainsi.
    Lolita baisse la mèche pour réduire la flamme au plus bas,
et seule une faible clarté dessine les contours des meubles et des objets. Le
cousin continue de fumer immobile sur le divan, le verre à la main et la figure
dans l’ombre.
    — Il y a un moment, dit-il, je pensais à ces après-midi
de visite, avec ma mère, la tienne et nos vieilles tantes au premier et au
second degré, les cousines éloignées et les autres femmes du cercle familial,
toutes vêtues de noir, quand nous buvions du chocolat dans ce même salon, ou en
bas, dans le patio… Tu te souviens ?
    Lolita, revenue sur le divan, acquiesce de nouveau.
    — Bien sûr. Le paysage s’est beaucoup dépeuplé depuis.
    — Et nos étés à Chiclana ?… Quand nous montions
aux arbres pour cueillir des fruits ou que nous jouions dans le jardin à la
lueur de la lune ? Avec Cari et Francisco de Paula… J’enviais les jouets
merveilleux que vous donnait ton père. Une fois, j’ai voulu vous voler un
soldat de plomb, mais vous m’avez rattrapé.
    — Je me rappelle. La raclée qu’on t’a donnée.
    — J’étais mort de honte, et j’ai mis longtemps à vous
regarder de nouveau en face. – Une longue pause, plongé dans ses
pensées. – Ce jour-là a sonné le glas de ma vie de criminel.
    Il se tait. Un silence étrange, brusquement renfrogné. Qui
ne correspond guère à son tempérament. Lolita Palma lui prend la main, qu’il
lui abandonne, inerte, sans répondre à la pression affectueuse. Surprise, elle
constate que cette main est froide. Au bout d’un moment, il la retire, d’un
mouvement qui se veut naturel.
    — Toi, tu n’as jamais été attirée par les petites
maisons, les poupées… Tu préférais les sabres en fer-blanc, les soldats de
plomb et les bateaux en bois de ton frère…
    Cette fois, la pause est plus longue. Excessive. Lolita
devine ce que son cousin va dire ensuite : et celui-ci sait sûrement
qu’elle le devine.
    — Je me souviens beaucoup de ton frère, Paquito,
murmure-t-il finalement.
    — Moi aussi.
    — Je suppose que sa mort a changé ta vie. Parfois, je me
demande ce que tu ferais aujourd’hui, si…
    La braise du cigare s’éteint, minutieusement écrasée par le
cousin dans le cendrier.
    — Bah…, conclut-il sur un ton différent. La vérité est
que je ne t’imagine pas mariée comme Cari.
    Lolita sourit dans l’ombre, pour elle-même.
    — Elle, ce n’est pas pareil, répond-elle doucement.
    Le cousin Toño en convient. Le rire est sec, dents serrées.
Ce n’est pas son rire habituel, large et franc. Et nous restons donc seuls,
constate-t-il. Toi et moi. À l’image de Cadix. Puis il demeure un moment muet.
    — Comment s’appelait ce garçon ?… Manfredi ?
    — Oui. Miguel Manfredi.
    — Ça aussi, ça a changé ta vie.
    — Comment savoir, cousin.
    Maintenant, le rire du cousin est fort, retrouvant sa bonne
humeur de toujours.
    — En tout cas, le fait est que nous en sommes là, toi
et moi : le dernier Cardenal et la dernière des Palma… Un célibataire
invétéré et une fille qui a depuis longtemps coiffé Sainte-Catherine. Tout à
fait comme Cadix, je te dis.
    — Qu’est-ce qui a pu faire de toi un tel goujat :
comment peux-tu être aussi grossier ?
    — C’est l’expérience, mon enfant. Ce sont les années,
le jus de la treille et une longue expérience.
    Lolita sait bien que l’état de célibataire du cousin Toño
n’a pas toujours eu la même évidence. Longtemps, au cours de sa jeunesse, il a
aimé une jeune Gaditane du nom de Consuelo Carvajal : belle, très
courtisée, orgueilleuse jusqu’à en être méprisante. Pour cet amour, le cousin
était prêt à décrocher la lune, et il accédait à tous ses caprices. Mais elle
était profondément égoïste ; elle adorait jouer le rôle de la belle
dame sans merci

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