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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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pas quelqu’un de très sociable… Une autre
fois, peut-être.
    — Comme vous voudrez.
    Tandis qu’ils se séparent avec les politesses d’usage, le
député Fernández Cuchillero – élégante cape grise à revers safran, canne
en jonc et chapeau haut de forme – fait savoir combien il serait heureux
de converser un moment avec monsieur Lobo, pour que celui-ci lui conte
l’affaire de Tarifa.
    Une défense héroïque, d’après ce qu’on lui a dit. Et un beau
fiasco français. Ce sujet sera justement à l’ordre du jour de la commission de
la guerre des Cortès, ce lundi.
    — Me permettez-vous de vous inviter demain à déjeuner,
capitaine, si vous n’avez pas d’autre engagement ?
    Le corsaire lance un rapide coup d’œil à Lolita Palma. Le
regard glisse dans le vide.
    — Je suis à votre disposition, monsieur.
    — Magnifique. Que diriez-vous de midi et demi à
l’auberge des Quatre Nations ?… On y sert un pâté d’huîtres en croûte et
un menudo con garbanzos qui ne sont pas mauvais. Il y a aussi
d’excellents vins des Canaries et du Portugal.
    Pepe Lobo fait un rapide calcul. Il se soucie de la
commission de la guerre des Cortès comme de sa première chemise ; mais le
député, outre qu’il est un ami de la maison Palma, est une relation politique
intéressante. Celle-ci peut se révéler utile. Par les temps qui courent et vu
les incertitudes de son métier, on ne sait jamais.
    — J’y serai.
    Le tour pris par la conversation ne semble pas au goût du
capitaine Virués, qui fronce les sourcils.
    — Je doute que ce monsieur ait beaucoup à raconter,
intervient-il, acide. Je ne crois pas qu’il ait jamais mis les pieds dans
Tarifa… À ce que j’ai compris, sa mission se bornait à transporter des dépêches
officielles.
    Un silence embarrassé. Le regard de Pepe Lobo effleure un
instant les yeux de Lolita Palma et s’arrête sur le militaire.
    — C’est exact, répond-il avec calme. Sur mon bateau,
nous avons seulement eu l’occasion de contempler les taureaux depuis la
barrière… C’est en quelque sorte comme vous, monsieur, que je rencontre
toujours à Cadix, alors que vous êtes affecté en première ligne, sur l’Île…
J’imagine ce que doit souffrir un soldat ici, si loin du feu et de la gloire, à
traîner son sabre dans les cafés. – Impassible, le corsaire dévisage
maintenant Virués. – Je suis sûr que vous devez en être fort marri.
    Même à la faible lumière jaune des lanternes, il est évident
que le militaire a pâli. Sa réaction instinctive, qui est de porter la main
gauche à la poignée de son sabre, sans aller jusqu’au bout de son geste,
n’échappe pas au regard dangereux de Pepe Lobo, fait aux rixes brutales et aux
situations difficiles. Ce n’est ni le lieu ni l’occasion, tous deux le savent.
Surtout pas ici, en présence de Lolita Palma et de ses amis. Et encore moins
s’agissant d’un officier et d’un homme de parfaite éducation tel que le
capitaine Virués. Fort de cette certitude et de l’impunité qu’elle lui procure,
le corsaire tourne le dos au militaire, salue respectueusement de la tête
Lolita Palma et son entourage, et s’éloigne du groupe – il sent les yeux
de la femme le suivre de loin, inquiets – pour revenir à la table où
l’attend, toujours assis, Ricardo Maraña.
    — Tu ne traverses pas la baie, cette nuit ?
demande-t-il à son lieutenant.
    Celui-ci le regarde avec une vague curiosité.
    — Je ne l’avais pas prévu.
    Pepe Lobo acquiesce, l’air sombre.
    — Alors allons chercher des femmes.
    Maraña continue de le regarder, interrogateur. Puis il se
tourne à demi pour lancer un coup d’œil au groupe qui s’en va en direction de
la place San Antonio. Il demeure ainsi un moment, pensif, sans desserrer les
dents. Finalement, il vide cérémonieusement le reste de la cruche dans les deux
verres.
    — Quel genre de femmes, capitaine ?
    — Du genre qu’on trouve à cette heure-ci.
    Un sourire distingué – las et légèrement
canaille – crispe les lèvres pâles du second de la Culebra.
    —  Tu les préfères avec un préambule de vin et de
danse, comme celles de la Caleta ou du Mentidero, ou tu veux directement les
putes de Santa María et de la Merced ?
    Pepe Lobo hausse les épaules. La lampée de genièvre qu’il
vient d’ingurgiter, copieuse et brutale, lui brûle l’estomac. Elle le rend
aussi d’une humeur massacrante. Mais non, se reprend-il : cette

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