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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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chevronné, capable
d’afficher un tel calme. À le voir, décide l’artilleur, il est difficile de
croire qu’il pourrait inventer certaines choses.
    — Voilà pourquoi vous avez pensé que cet agent qui
travaillait pour nous…
    — Naturellement. – L’Espagnol esquisse un étrange
sourire. – Il y avait un lien, et j’ai cru, faussement, que l’homme était
ce lien.
    — Qu’avez-vous fait de lui ?
    — Il attend son procès. Et le sort réservé aux espions…
Nous sommes en guerre, comme vous le savez mieux que moi.
    — Une condamnation à mort ?
    — Je suppose. Ce n’est plus mon affaire.
    Desfosseux pense à l’homme aux pigeons, qu’il n’a jamais rencontré.
Il n’en a connu que les messages, jusqu’au jour où ils ont cessé d’arriver. Il
a toujours ignoré ses mobiles : s’il espionnait pour la France par appât
du gain ou par patriotisme. Jusqu’aujourd’hui, il ne connaissait même pas son
nom ou sa nationalité. C’est le général Mocquery, le nouveau chef d’état-major
du Premier Corps, qui se charge de ce genre d’affaire, depuis que le général
Semellé les a quittés : renseignement militaire et tout le reste. Un monde
trouble, complexe, que le capitaine préfère ignorer. Rester le plus à l’écart
possible. En tout cas, il regrette ces pigeons. Les rapports qui arrivent
maintenant – l’armée impériale a d’autres informateurs dans la
ville – n’ont pas la rigoureuse précision avec laquelle l’agent arrêté
rédigeait les siens.
    — Vous avez pris beaucoup de risques, en venant ici de
la sorte.
    — Oh, ça… – Le policier fait un geste vague pour
embrasser l’espace qui les entoure. – C’est Cadix, vous savez ?… Les
gens vont et viennent dans la baie. Je suppose que ce ne doit pas être facile
pour un militaire français de se faire à cette idée.
    Il a parlé d’un air dégagé. Une suffisance très espagnole,
pense Desfosseux. Son interlocuteur l’observe avec attention.
    — Pourquoi avez-vous accepté de me recevoir ?
questionne-t-il finalement.
    C’est au tour du capitaine de sourire.
    — Votre lettre a éveillé ma curiosité.
    — Je vous en remercie.
    — N’en faites rien. – Desfosseux hoche la
tête. – Il est encore temps de vous livrer aux gendarmes… L’idée de me
retrouver devant un conseil de guerre, accusé d’intelligence avec l’ennemi, ne
me plaît pas du tout.
    Un éclat de rire bref et sec. Insouciant.
    — Ne vous inquiétez pas pour ça. Mon sauf-conduit porte
le sceau du quartier général impérial à Chiclana… Et puis, je suis seulement un
policier.
    — Les policiers ne m’ont jamais enthousiasmé.
    — Pas plus que moi, les porcs qui tuent des filles de
quinze ans.
    Les deux hommes se dévisagent en silence. L’Espagnol serein
et désinvolte, le Français songeur. Puis ce dernier se penche de nouveau sur le
plan de Cadix et arrête encore une fois son regard sur les marques au crayon,
passant de l’une à l’autre. Pour lui, jusqu’à maintenant, ce ne sont que des
points d’impact. Des objectifs atteints avec succès, puisque, dans six des sept
cas, les bombes ont touché la ville et explosé comme prévu. Pour l’homme qu’il
a devant lui, en revanche, ces marques sont autre chose : des images
concrètes de sept filles mortes après avoir été atrocement torturées. Quelles
que soient ses réserves sur l’interprétation générale de l’affaire, à aucun
moment Desfosseux n’a douté de la véracité des faits ponctuels du récit. Jamais
il ne confierait sa vie ni sa fortune – s’il en possédait une – à cet
homme, mais il sait qu’il ne ment pas. Pas, en tout cas, de manière délibérée.
    — Bien entendu, dit-il finalement, cette conversation
n’a jamais eu lieu.
    Jamais, répète l’autre comme un écho, sur le ton de
quelqu’un qui est familiarisé avec les conversations inexistantes. Il a sorti
un étui en cuir de bonne qualité et offre un cigare au capitaine, qui l’accepte
mais le met dans une poche – coupé en deux, il n’en sera que plus
apprécié. Le vent influe beaucoup, dit ensuite Desfosseux, tout en promenant
une main sur le plan. Sur la trajectoire et le point de chute. En réalité, tout
compte : température, humidité de l’air, état de la poudre. Jusqu’à la
chaleur ambiante, qui dilate ou contracte l’âme de la pièce et influe sur le
tir.
    — Un de mes problèmes est précisément que je ne
parviens pas à

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