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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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parlé en espagnol et Desfosseux le regarde, déconcerté.
    — Pardon ?
    Un silence. Le commissaire regarde le plan de Cadix.
    — C’est une théorie, naturellement, murmure-t-il, comme
s’il pensait à des choses lointaines.
    — Bien sûr. Mais c’est la seule qui, de mon point de
vue, donne une explication rationnelle à ce que vous êtes venu me raconter.
    Le policier reste penché sur le plan. Concentré. La fumée de
son cigare ondule en spirale, en frôlant la flamme de la chandelle.
    — Serait-il possible, à des moments déterminés, que
vous tiriez sur des secteurs précis de la ville ?
    Il a changé d’attitude, constate Desfosseux. Ses yeux
paraissent plus durs, maintenant. Un instant, l’artilleur a l’impression de
voir luire une canine. Comme celle d’un loup.
    — Je ne suis pas sûr que vous compreniez la portée de
ce que vous me suggérez.
    — Vous vous trompez, répond l’autre. Je la comprends
très bien. Qu’en dites-vous ?
    — Je pourrais le tenter, naturellement. Mais je vous ai
déjà dit que la précision…
    Nouvelle bouffée de cigare, suivie de la fumée
correspondante. Le policier semble s’animer par moments.
    — Votre problème, ce sont les bombes, commente-t-il avec
aplomb. Le mien, c’est de trouver un assassin. Je vous donne les indications
pour que vous atteigniez des endroits précis. Des secteurs qui soient faciles à
viser… – Il indique le plan. – Quels sont les plus accessibles ?
    Desfosseux est stupéfait.
    — Eh bien… Mais c’est irrégulier. Je…
    — Irrégulier ? Qu’est-ce que vous me chantez
là ? C’est votre travail.
    L’artilleur ne tient pas compte du ton quasi insolent du
commentaire. En fin de compte, sans le savoir, le policier a mis en plein dans
le mille. Maintenant c’est Desfosseux qui se penche sur le plan en rapprochant
la chandelle pour mieux l’éclairer. Droites et courbes, poids et espolettes.
Portées. Dans sa tête, il trace déjà des paraboles parfaites et des points
d’impact précis. C’est comme retomber dans une fièvre chronique et se laisser
emporter par elle.
    — Dans les conditions adéquates, et avec la portée dont
je dispose actuellement, les zones les plus accessibles sont celles-ci… –
Son index suit le contour oriental de la ville. – Pratiquement toute cette
bande, 200 toises à l’ouest du rempart.
    — De la pointe de San Felipe à la Porte de Terre ?
    — Plus ou moins.
    L’Espagnol semble satisfait. Il acquiesce sans lever les
yeux. Puis il indique un point marqué au crayon.
    — Cet endroit se trouve dans cette zone. La rue San
Miguel avec la côte de la Murga. Pourriez-vous essayer là, à des jours et des
heures déterminés ?
    — Je pourrais. Mais je vous ai dit que la précision…
    Desfosseux fait de rapides calculs mentaux. Relations du
poids et de la force de la poudre adéquate, avec la charge exacte. Ce serait
possible, conclut-il. Si les conditions sont bonnes, et sans vent fort
soufflant en sens opposé ou de travers qui dévierait les projectiles ou
raccourcirait leur portée.
    — Elles doivent exploser ?
    — Il le faut.
    Le capitaine pense déjà à des espolettes, avec les nouvelles
amorces qu’il a dessinées et qui garantissent leur combustion. À cette
distance, elles sont fiables. Ou presque. En tout cas, ça peut se faire,
décide-t-il. Ou on peut le tenter.
    — Je ne garantis pas la précision, de toute manière… Je
vous dirais, en confidence, que ça fait des mois que j’essaye d’atteindre le
bâtiment de la Douane, où se réunit la Régence. Et rien.
    — Voilà la zone qui m’intéresse. Les alentours de ce
point.
    L’artilleur, à présent, ne regarde plus le plan, mais le
policier.
    — Je me suis d’abord demandé si vous n’étiez pas fou à
lier. Mais je me suis sérieusement informé quand est arrivée votre lettre… Je
sais qui vous êtes et ce que vous faites.
    L’autre ne dit rien. Il se borne à le regarder, le cigare
fumant planté entre ses dents.
    — De toute façon, ajoute Desfosseux, pourquoi
devrais-je vous aider ?
    — Parce que personne, qu’il soit espagnol ou français,
n’apprécie qu’on tue des jeunes filles.
    Ce n’est pas une mauvaise réponse, concède le capitaine dans
son for intérieur. Même le lieutenant Bertoldi serait d’accord. Néanmoins, il
refuse de continuer sur ce terrain. La canine de loup qu’il a entrevue quelques
instants plus tôt dissipe tout malentendu. Ce

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