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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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observe attentivement la carte. Par la fenêtre, vers
laquelle s’est de nouveau tourné le général Ruffin, on entend toujours le bruit
que font les sapeurs en travaillant. Leurs coups de pic et de pelle. Enfin, le
maréchal détache son regard de Cadix.
    — Je vais vous dire les choses autrement, capitaine…
Comment vous appelez-vous ? Rappelez-moi votre nom, je vous prie.
    Gloups ! L’ingestion forcée de salive lui fait l’effet
d’un coup de pistolet. Une mouche – espagnole, la garce – vole dans
la pièce et va de général en général.
    — Simon Desfosseux, Excellence.
    — Eh bien, écoutez-moi, Desfosseux… J’ai trois cents
bouches à feu de gros calibre pointées sur Cadix, et la Fonderie de Séville qui
travaille jour et nuit. J’ai mon état-major d’artillerie, et je vous ai,
vous – qui êtes, selon ce que m’a assuré le pauvre Sénarmont, paix à son
âme, un génie de la théorie. J’ai mis à votre disposition les moyens techniques
et l’autorité nécessaires… Que vous faut-il de plus pour foutre vos bombes en
plein dans le trou du cul des manolos ?
    — Des mortiers, Excellence.
    La mouche s’est posée sur le nez du duc de Bellune.
    — Des mortiers, dites-vous.
    — C’est bien ça. De plus gros calibre que le modèle
Dedon : 14 pouces.
    Victor chasse la mouche de la main. Un geste qui fait
apparaître le soudard brutal, dont les brandebourgs et les galons de l’uniforme
ne peuvent masquer la vulgarité.
    — Oubliez ces putains de mortiers. Vous
m’entendez ?
    — Parfaitement, Excellence.
    — Si l’empereur dit que nous devons nous servir
d’obusiers, on s’en sert et on la ferme.
    Le capitaine Desfosseux lève une main. Il se rend, mais il
demande encore une minute, rien qu’une petite minute. Parce que, dans ce cas,
argumente-t-il, il doit poser une question au maréchal : Que désire Son
Excellence ? Que les bombes explosent dans Cadix ? Ou trouve-t-elle
suffisant qu’elles tombent, sans plus ? Ayant dit cela, il se tait et
attend. Après une brève hésitation et un échange de regards avec ses généraux,
Victor répond qu’il ne comprend pas où le capitaine veut en venir. Celui-ci
indique de nouveau la carte sur le chevalet et répond qu’il a besoin de savoir
ce qu’on cherche : s’agit-il de causer de vrais dégâts dans la ville, ou
seulement de saper le moral des habitants par la chute des bombes ? Est-ce
que le fait qu’elles explosent ou pas est sans importance ? Est-ce que des
dommages mineurs suffiraient ?
    La gêne du maréchal est évidente. Il se gratte le nez, là où
s’était posée la mouche.
    — Qu’entendez-vous par dommages mineurs  ?
    — L’impact d’une bombe pleine et inerte de 80 livres,
qui ferait de la casse et pas mal de bruit.
    — Écoutez, capitaine. – Victor ne semble plus
fâché. – Ce que je veux, c’est écraser cette foutue péninsule et la
prendre ensuite à la baïonnette avec mes grenadiers… Mais puisque ça s’avère
impossible, je souhaite au moins qu’à Paris Le Moniteur publie sans
mentir que nous donnons à la ville de Cadix une raclée dont elle se souviendra.
Et sur toute son étendue.
    Maintenant, c’est Desfosseux qui sourit. Pour la première
fois. Évidemment pas un sourire insolent, qui ne conviendrait ni à son rang ni
à sa situation. Juste une discrète ébauche. Pour annoncer la suite :
    — J’ai fait des essais avec un obusier de
10 pouces qui tire des boulets spéciaux. Ou, plutôt, très simples. Sans
poudre explosive. Pas d’espolette, pas de charge. Certains en fer massif et
d’autres remplis de plomb. Ils semblent intéressants du point de vue de la
portée, si j’arrive à résoudre quelques problèmes secondaires.
    — Et qu’est-ce que ça fait comme dégâts en
tombant ?
    — Ça démolit les alentours. Avec de la chance, ça
atteint un édifice. Parfois, ça tue ou estropie quelqu’un. Ça fait beaucoup de
bruit. Et la portée peut probablement augmenter de 100 ou 200 toises.
    — L’efficacité tactique ?
    — Nulle.
    Victor échange un coup d’œil avec le général Lesueur qui
confirme du geste, très soulagé, même si, Desfosseux le sait, il n’a pas la
moindre idée de ce dont il est question. L’existence des derniers essais avec
Fanfan n’est connue que du capitaine et du lieutenant Bertoldi.
    — Bon. C’est déjà quelque chose. Ça suffira au Moniteur pour le moment. Mais n’abandonnez pas les

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