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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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classiques. Continuez à utiliser
des obusiers avec des bombes conventionnelles, les espolettes et tout le
saint-frusquin. Mettre un cierge au Christ et un autre au diable n’a jamais nui
à personne.
    Le duc se lève. Par un réflexe automatique, tous se
redressent. En entendant le bruit de la chaise, le général Ruffin cesse de
regarder par la fenêtre.
    — Et autre chose, capitaine. Que ça explose ou non, si
vous arrivez à expédier une bombe sur l’église San Felipe Neri où se réunit ce
ramassis de brigands qu’ils appellent là-bas les Cortès, je vous fais passer
commandant. Vous m’entendez ?… Vous avez ma parole.
    Le général Lesueur fait la grimace. Victor s’en aperçoit et
l’interpelle rudement.
    — Quoi ? Vous avez quelque chose à y redire ?
    — Ce n’est pas ça, mon général, s’excuse l’autre. Le
capitaine Desfosseux a déjà refusé deux fois une promotion comme celle que vous
lui offrez.
    En disant cela, il regarde l’intéressé avec un mélange
visible de sentiments : un peu de jalousie et une inquiétude non dénuée de
soupçon. Dans son monde de soldats de métier, tout individu qui refuse une
promotion ne peut être que suspect. Il est en contradiction manifeste avec
l’esprit qui anime les vétérans de l’Empire : monter en grade et en
honneurs depuis le rang de simple soldat jusqu’à ce que l’on soit en mesure,
comme le duc de Bellune et le général Lesueur lui-même, de piller les terres,
les villages et les villes placés sous son commandement et d’envoyer le butin
chez soi, en France. Deux décennies de gloire républicaine, consulaire et
impériale en affrontant le feu sans broncher ne sont pas incompatibles avec la
perspective de mourir riche et si possible dans son lit. Bref, une raison de
plus pour se méfier de quelqu’un qui, comme Desfosseux, prétend suivre sa
propre musique. S’il n’était pas réputé pour ses compétences techniques,
Lesueur l’aurait depuis longtemps envoyé croupir dans une redoute, dans les
fondrières insalubres qui entourent l’île de Léon. À patauger dans la boue.
    — Allons bon, commente Victor. Un individualiste, à ce
que je vois. Qui doit nous regarder de haut parce que nous aimons les honneurs.
    Un nouveau silence tendu. Logique, d’ailleurs. Rompu par un éclat
de rire du maréchal. Le style Victor.
    — Bien, capitaine. Faites votre travail et
rappelez-vous : la bombe sur San Felipe. Ma proposition de récompense est
toujours valable. Avez-vous pensé à autre chose qui vous agréerait
davantage ?
    — Un mortier de 14 pouces, Excellence.
    — Foutez-moi le camp ! – Le maréchal montre
la porte. – Et que je ne vous voie plus, foutue tête de mule !
     
    *
     
    Le taxidermiste entre de bon matin dans la boutique du
marchand de savon Frasquito Sanlúcar. Celle-ci est située dans la rue de la
Bénédiction Divine, près du Mentidero. Une boutique obscure et fraîche,
étroite, avec une fenêtre donnant sur une cour intérieure, et un comptoir au
fond, devant un rideau qui conduit aux magasins. Caisses empilées, tiroirs avec
des couvercles vitrés pour montrer les marchandises. Flacons pour les produits
élégants. Couleurs et parfums, odeurs de savons et d’essences. Sur le mur, une
gravure coloriée du roi Ferdinand VII et un vieux baromètre de bateau à
colonne, long et étroit.
    — Bonjour, Frasquito.
    Le marchand de savon porte une blouse grise. Il est roux,
l’air plus anglais qu’espagnol, malgré son nom. Il porte des lunettes. Les
taches de rousseur de sa figure montent jusqu’à la naissance de ce qui lui
reste de cheveux frisés.
    — Bonjour, don Gregorio. Qu’y a-t-il pour votre
service ?
    Gregorio Fumagal – tel est le nom du
taxidermiste – sourit au marchand de savon. C’est un bon client, car les
produits de Frasquito Sanlúcar sont les meilleurs et les plus variés de
Cadix : depuis les pommades et les savons de toilette transparents et
raffinés, importés de l’étranger, jusqu’aux savons à lessive espagnols
ordinaires.
    — Je veux de la teinture pour les cheveux. Et deux
livres du savon blanc que je vous ai pris l’autre jour.
    — Vous l’avez trouvé bien ?
    — Remarquable. Et vous aviez raison. Il nettoie
parfaitement la peau des animaux.
    — Je vous l’avais dit. Il est meilleur que celui que je
vous vendais avant. Et plus économique.
    Deux jeunes femmes entrent dans la boutique. Je ne suis pas
pressé, dit le taxidermiste,

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