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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Ruty.
    Le silence s’épaissit encore. Le duc de Bellune étudie
Desfosseux tout en se passant les doigts, pensif, dans l’abondante chevelure
grise de sa tête léonine qu’il confie aux soins d’un coiffeur espagnol de
Chiclana. Le capitaine sait que parler avec un tel manque de respect des
obusiers, c’est insulter gravement ceux qui ont fait le choix de les
privilégier. Son supérieur, Lesueur, passe son temps à chanter les mérites
techniques de ces pièces. En alimentant stupidement, au sein de l’état-major,
des espérances que Desfosseux juge injustifiées.
    — Il y a une différence fondamentale, dit le maréchal.
L’empereur est d’avis que l’arme appropriée pour bombarder Cadix est l’obusier…
C’est lui, en personne, qui nous a envoyé les dessins du colonel Villantroys.
    Bourdonnement de mouches. Tous les regards se rivent sur
Desfosseux, qui tente de déglutir. Qu’est-ce que je fais ici ? se
demande-t-il. Engoncé dans cet uniforme au col insupportable, à subir des
discussions absurdes, au lieu d’être à Metz et d’enseigner la physique.
Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Pour me retrouver au fin fond de
l’Espagne, à jouer aux petits soldats avec des bravaches couverts de galons qui
ne veulent entendre que ce qui leur convient. Ou ce qu’ils croient leur
convenir. Comme ce sagouin de Lesueur, qui le sait aussi bien que moi, mais qui
préfère les laisser me bouffer tout cru.
    — Avec tout le respect que je dois avoir pour le choix
de l’empereur, je crois que Cadix doit être bombardé avec des mortiers, et non
des obusiers.
    — Avec tout le respect que vous devez avoir…, répète le
maréchal avec un sourire.
    Un sourire songeur qui donnerait des frissons à n’importe
quel militaire. Mais le capitaine Desfosseux est un civil en uniforme. Un
soldat accidentel, pour le temps que durera son champ d’expériences :
Cadix, pour le moment. On lui a collé cet uniforme sur le dos et on l’a fait
venir de France pour ça. Son royaume n’est pas de ce monde.
    — Excellence, même les défauts dans les espolettes ont
une relation… Les grenades que tirent les obusiers nous obligent à employer des
mèches inadéquates. Alors que la bombe de plus grand diamètre tirée par un
mortier permet d’incorporer des mèches de plus grandes dimensions. De plus, du
fait de sa gravité supérieure, elle permettrait que toute la poudre s’enflamme
dans la chambre au moment du tir, améliorant ainsi la portée.
    Le maréchal commandant le Premier Corps sourit toujours.
Mais son expression, maintenant, trahit sa curiosité. Chose dangereuse quand il
s’agit de maréchaux, généraux et gens du même acabit.
    — L’empereur pense différemment. N’oubliez pas qu’il
est artilleur, et qu’il se fait un point d’honneur de le rester… Et moi aussi.
    Desfosseux acquiesce, mais personne ne peut plus l’arrêter.
Il sent une chaleur pénible monter sous sa veste et un besoin urgent d’en
déboutonner le col haut et rigide. Mais il garde l’énergie du désespoir :
jamais plus, probablement, il n’aura l’occasion de dire clairement les choses.
Et en tout cas pas dans un cachot militaire ou devant un peloton d’exécution.
Si bien qu’après avoir profondément respiré il répond qu’il ne met pas en doute
les mérites en matière d’artillerie de Sa Majesté impériale, ni ceux de Son Excellence
le duc de Bellune. C’est précisément pour cela qu’il ose dire ce qu’il dit,
sans autre rempart que sa science et sa conscience. Loyauté envers l’arme de
l’Artillerie et tout le reste. La France au-dessus de tout et de tous. Sa
patrie, etcetera. Quant aux obusiers, le maréchal Victor était lui-même présent
au Trocadéro quand on a fait les essais. Et il doit s’en souvenir. Aucune des
huit pièces, tirant à quarante-quatre degrés d’élévation, n’a atteint plus de
2 000 toises. Beaucoup de projectiles ont explosé en l’air.
    — À cause des déficiences des amorces des espolettes,
précise sournoisement le général Lesueur.
    — De toute façon, ils ne seraient pas arrivés jusqu’à
la ville. À chaque tir, la portée diminuait… Les grains de lumière n’ont guère
aidé non plus.
    — Et pourquoi cela ? s’enquiert le maréchal
Victor.
    — Ils se détériorent un peu plus à chaque tir. Ce qui a
pour effet de diminuer la force d’impulsion.
    Cette fois, le silence dure plus longtemps. Pendant un
moment, le maréchal

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