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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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part. On ne bombarde pas les navires, répond
Desfosseux, parce qu’ils sont trop loin ; les Anglais un peu vers l’extérieur
et les Espagnols un peu vers l’intérieur. Les uns et les autres pour ainsi dire
collés à la ville. C’est très difficile de viser une cible à une telle
distance. Ce sont des tirs au petit bonheur la chance, sans aucune exactitude.
À la grâce de Dieu. C’est une chose de faire tomber des bombes sur la ville à
la volée, ici ou là, c’en est une autre d’atteindre un point précis. Ça, c’est
impossible à garantir. Observez le bâtiment de la Douane, par exemple. Ici.
C’est là que se tient le conseil de la Régence des insurgés. Pas un impact.
    — Avec les moyens dont nous disposons, conclut-il,
longue portée et précision sont impossibles.
    Il est sur le point d’ajouter quelque chose. Il hésite, et le
général Lesueur, qui a écouté en silence avec les autres, devinant son
intention, fronce un sourcil en signe d’avertissement. Ne va pas mettre les
pieds dans le plat, lui signifie le commandant de l’artillerie. Ne te complique
pas la vie et ne me complique pas la mienne. C’est une inspection de routine.
Dis-leur ce qu’ils veulent entendre, je me charge du reste. Un point c’est
tout.
    — En écartant la précision et en nous concentrant sur
la portée, je crois que nous pourrions obtenir de meilleurs résultats avec des
mortiers, au lieu d’obusiers.
    Ça y est, il l’a dit. Et il ne s’en repent pas, même si,
maintenant, Lesueur le foudroie du regard.
    — C’est hors de question, réplique ce dernier d’un ton
sec. L’essai que nous avons fait en novembre avec le mortier Dedon de
12 pouces fondu à Séville a été un désastre… Les projectiles n’ont même
pas atteint les 2 000 toises.
    Le maréchal se carre sur sa chaise et lance à Lesueur un
regard autoritaire. Ce dernier est un artilleur chevronné qui connaît toutes
les ficelles du métier : minutieux et rigoureux, de ceux qui n’entrent que
lorsqu’ils savent par où ils pourront sortir. Le maréchal et lui se connaissent
depuis le siège de Toulon, quand Victor s’appelait encore Claude Perrin et que
tous deux bombardaient les redoutes royalistes et les navires espagnols et
anglais, en compagnie de leur collègue, le capitaine Bonaparte. Laissons
s’expliquer l’homme de l’art, dit son expression muette. Toi, tu restes toute
la journée avec moi, et c’est lui qui sait, ou c’est du moins ainsi qu’on me
l’a présenté. C’est pour ça que nous sommes venus. Pour qu’il me dise ce qu’il
a à me dire. De sorte que Lesueur se tait et que le duc de Bellune se tourne
vers Desfosseux en l’invitant à poursuivre.
    — J’ai prévenu en son temps que le Dedon n’était pas la
pièce adéquate, continue le capitaine. Il était à plaque et à chambre
sphérique. Très imprécis de tir et dangereux de maniement. Il lui fallait
30 livres de poudre, ce qui était beaucoup trop : toute la poudre ne
s’enflammait pas d’un coup, et la puissance de sortie ainsi diminuée réduisait
la portée… Même les deux canons conventionnels lui étaient supérieurs.
    — Travail d’amateur, typique de Dedon, dit le maréchal.
    Tous rient avec complaisance, sauf Desfosseux et Ruffin,
lequel regarde par la fenêtre d’un air absorbé comme s’il cherchait au-dehors
quelque présage particulier. Le général Dedon est un homme haï dans l’armée
impériale. Théoricien intelligent et artilleur consommé, son origine noble et
ses manières irritent les grognards sortis du rang avec la Révolution ;
comme Victor lui-même, qui a débuté petit tambour il y a trente ans à Grenoble,
gagné son sabre d’honneur à Marengo et remplacé Bernadotte à Friedland. Tous
s’emploient à discréditer les projets de Dedon et à vouer ses mortiers à l’oubli.
    — Pourtant, l’idée de base était correcte, affirme
Desfosseux avec l’aplomb du professionnel.
    Le silence qui suit est si lourd que même le général Ruffin
se retourne pour regarder le capitaine, vaguement intéressé. Pour sa part, ce
n’est plus seulement un sourcil que fronce Lesueur pour adresser une muette
admonestation à son subordonné. Ce sont les deux, et ses yeux le fusillent,
furieux. Lourds de promesses.
    — Le problème de la combustion partielle des grosses
charges de poudre se pose également avec d’autres pièces, poursuit Desfosseux,
impavide. Par exemple, les obusiers Villantroys, ou les

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