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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Emilio.
    — Bien sûr. Réfléchis bien.
     
    *
     
    Le capitaine Simon Desfosseux est mal à l’aise. Les généraux
ne sont pas sa compagnie favorite, et il en a plusieurs aujourd’hui autour de
lui. Ou sur lui. Tous suspendus a ses lèvres, ce qui n’est pas pour lui
remonter le moral : le maréchal Victor, le chef d’état-major Semellé, les
généraux de division Ruffin, Villatte et Leval, et le supérieur direct de
Desfosseux, commandant l’artillerie du Premier Corps, le général Lesueur,
successeur de feu le baron de Sénarmont. Ils lui sont tombés dessus au milieu
de la matinée, quand le duc de Bellune a décidé à l’improviste de quitter son
poste de commandement de Chiclana pour faire une tournée d’inspection sur le
Trocadéro, avec une forte escorte de hussards du 4 e  régiment.
    — Notre intention est de couvrir la totalité de la
superficie urbaine, explique Desfosseux. Jusqu’à maintenant, cela s’est révélé
infaisable, car nous travaillons à la limite de nos possibilités, confrontés à
plusieurs problèmes. La portée d’une part, et la combustion des mèches d’autre
part… Ce dernier point est un inconvénient sérieux, car j’ai ordre d’envoyer
sur la ville des bombes qui explosent, du type grenade. Pour cela, il faut une
espolette pour le retardement ; et la distance à parcourir est si longue
que beaucoup de bombes éclatent avant d’atteindre leur objectif… Nous avons
dessiné une nouvelle espolette dont la mèche brûle plus lentement et ne
s’éteint pas pendant le parcours.
    — Et elle est disponible ? s’intéresse le général
Leval, commandant la 2 e  division, cantonnée à Puerto Real.
    — Elle le sera dans quelques jours. Théoriquement, elle
dure plus de trente secondes, mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que
la friction de l’air accélère la combustion… ou l’éteigne.
    Une pause. Les généraux, couverts de broderies jusqu’au col
de leur veste, le regardent en attendant la suite. Le maréchal assis, les
autres debout, comme Desfosseux. Sur un chevalet, une carte de la ville avec un
plan de la baie. Par les fenêtres ouvertes du baraquement, on entend les voix
des sapeurs qui travaillent au terre-plein de la nouvelle batterie. Des mouches
tourbillonnent sur un rectangle de lumière que le soleil dessine sur le
plancher, autour d’un cafard écrasé. Mouches et cafards se comptent par
milliers dans les baraques et les tranchées du Trocadéro. Et aussi assez de
rats, punaises, poux et moustiques pour équiper toute l’armée impériale.
    — Cela nous amène à un autre problème : la
distance. Une portée de 3 000 toises suffirait à couvrir presque
toute la surface de la ville, en traversant celle-ci de part en part. Avec les
moyens dont je dispose, je ne puis garantir cette portée au-delà de
2 300 toises, en tenant compte, en plus, de l’influence des vents de
la baie sur la distance et la trajectoire… Cela nous permet de couvrir une aire
qui va d’ici à ici.
    Il indique des points de la zone orientale de la
ville : la Porte de Mer, les abords de la Douane. Il ne cite pas de noms,
car il sait que tous connaissent la carte : cela fait un an qu’ils
l’étudient et scrutent la ville avec leurs longues-vues. Son index parcourt la
ligne extérieure des remparts sans beaucoup pénétrer dans le tissu
urbain : juste quelques rues du quartier du Populo, près de la Porte de
Terre. Voilà où nous en sommes, confirme le doigt qui se déplace lentement.
Puis Desfosseux retire sa main et regarde son chef direct, le général Lesueur.
La suite est votre affaire, mon général, suggère ce regard, accompagné de la
demande muette d’être autorisé à quitter les lieux. À disparaître et à
retourner à sa règle à calcul, son télescope et ses pigeons voyageurs. À son
affaire à lui. Mais, naturellement, il ne s’en va pas. Sachant que c’est
précisément maintenant que commence le mauvais quart d’heure.
    — Les navires ennemis mouillés dans le port sont à
l’intérieur de ce périmètre, questionne le général Ruffin. Pourquoi ne les
bombarde-t-on pas aussi ?
    François Amable Ruffin, le commandant de la 1 re  division,
est un individu maigre et sérieux, au regard absent. Vétéran d’Austerlitz et de
Friedland, entre autres. Un personnage sensé, respecté par la troupe. Jeune
pour son grade, tout juste quarante ans. Brave. De ceux qui meurent tôt en
laissant leur nom inscrit quelque

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