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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qui entre par la porte
vitrée de la terrasse se reflète dans les yeux de verre des oiseaux et des
mammifères empaillés, sur le vernis qui couvre la peau des reptiles, sur les
grands bocaux où stagnent dans des postures fœtales, en état d’apesanteur
chimique, des êtres jaunâtres. Dans la pièce, on entend seulement le son
musical que produit un crayon qui court rapidement sur le papier. Au centre de
ce monde singulier, Gregorio Fumagal couvre une petite feuille très fine d’une
écriture minuscule et serrée. Vêtu d’une blouse et d’un bonnet de laine, le
taxidermiste est debout, un peu penché sur un haut pupitre qui lui sert
d’écritoire. De temps en temps, il tourne son regard vers le plan de Cadix
étalé sur le bureau, et, à deux reprises, il prend une loupe et va l’étudier de
près, avant de revenir à son pupitre pour continuer à écrire.
    Les cloches de l’église de Santiago sonnent. Fumagal adresse
un regard à la pendule en bronze doré posée sur la commode, se dépêche de
terminer les dernières lignes et, sans se relire, roule le papier pour en faire
un court cylindre, très fin ; il l’introduit dans le tube formé par la
tige d’une plume d’oiseau qu’il sort d’un tiroir et dont il bouche les
extrémités avec de la cire. Puis il ouvre la porte vitrée et gravit les
quelques marches qui mènent à la terrasse. Contrastant avec la lumière tamisée
du cabinet, la clarté brutale blesse les yeux. À moins de deux cents pas, le
dôme et les tours inachevés de la nouvelle cathédrale, encore entourée
d’échafaudages, se découpent dans le ciel de la ville sur le vaste panorama de
la mer et de la bande de sable, blanche de soleil et ondulant dans la
réverbération, qui longe la chaussée du Récif, s’éloigne et oblique vers Sancti
Petri et les hauteurs de Chiclana, comme une digue sur le point d’être
submergée par le bleu foncé de l’Atlantique.
    Fumagal libère la ganse de la corde qui ferme la porte du
pigeonnier et entre dans celui-ci. Sa présence y est habituelle et les
volatiles ne s’agitent presque pas. Juste quelques battements d’ailes. Le
roucoulement des oiseaux en liberté ou en cage et l’odeur familière de vesce ou
de chènevis secs, d’air chaud, de plumes et d’excréments enveloppent le
taxidermiste pendant qu’il choisit, parmi les pigeons enfermés, le plus
approprié : un gros mâle, plumage gris bleuté, jabot blanc avec des
reflets verts et violets sur la gorge, qui a déjà fait plusieurs allers-retours
entre les deux rives de la baie. Un bon élément qui, par son extraordinaire
sens de l’orientation, est devenu un fidèle messager de l’empereur, un vétéran
qui a survécu à d’innombrables épreuves sous le soleil, la pluie et le vent, et
échappé jusqu’à maintenant aux serres des rapaces et aux coups de fusil
soupçonneux des bipèdes sans plumes. D’autres, parmi ses frères de pigeonnier,
ne sont pas revenus de leurs périlleuses missions ; mais lui est toujours
arrivé à bon port : un voyage d’aller de deux à cinq minutes selon le vent
et le temps, volant vaillamment en ligne directe au-dessus de la baie, avec un
heureux retour clandestin dans une cage dissimulée sur une embarcation de
contrebandiers payés en or français. Un oiseau qui mène un combat très
spécial – sa propre et minuscule guerre d’Espagne – à trois cents
pieds de hauteur.
    Après s’être emparé du pigeon et l’avoir retourné, avec
ménagements, ventre en l’air, Fumagal s’assure qu’il est en bonne santé et que
ses plumes des ailes et de la queue sont bien complètes. Puis il attache avec
un cordonnet de soie cirée le petit tube du message à une forte plume de la
queue, il referme le pigeonnier et se dirige vers le parapet de la terrasse qui
donne au levant, là où les tours de garde qui se dressent au-dessus de la ville
cachent la baie et la terre ferme. Avec beaucoup de précaution, après s’être
assuré que personne ne l’observe depuis les terrasses voisines, le taxidermiste
libère l’oiseau qui émet un joyeux roucoulement et vole en rond pendant une
minute en prenant de plus en plus de hauteur, pour s’orienter. Finalement, son
instinct infaillible ayant détecté le point exact vers lequel il doit se
diriger, il s’éloigne rapidement, battant des ailes en cadence, vers les lignes
françaises du Trocadéro : un point de plus en plus petit dans le ciel,
bientôt imperceptible, qui finit par

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