Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
défend le principe de non-ingérence et d'indépendance nationale, la coexistence pacifique, un nouvel ordre international, l'Europe démocratique, indépendante et pacifique selon son cœur. Tout y passe : les relations avec les pays de l'Est, l'eurocommunisme qu'il définit comme un contact durable avec les partis frères tout en affirmant que, tous ensemble, ils ont « repoussé l'idée d'un contre-modèle socialiste ».
Il s'interrompt au bout de trois heures sous des applaudissements nourris, pour reprendre son discours fleuve, après une pause, d'une voix plus faible que la fatigue commence à voiler. Pourquoi diable, à l'exemple des Soviétiques ou de Castro, se croit-il obligé de parler des heures ? C'est qu'il a réservé pour la fin la partie la plus importante de son discours, celle qui a trait à l'union de la gauche et au Programme commun. Plusieurs minutes (pendant lesquelles Gaston Plissonnier s'est assoupi : Madeleine Vincent le réveille) sur l'évolution du Parti socialiste et l'erreur qu'a faite le PC, en 1974, de lui « conférer un brevet de parti révolutionnaire ». Marchais énonce dès lors les leçons à tirer : « Priorité absolue à l'union dans l'action », mais « pas d'accord au sommet avec le PS. » Une fois de plus dans l'histoire du PC, lorsque les communistes ne veulent pas du tout d'une union avec les socialistes ou, plus généralement, les forces de gauche, ils s'agrippent à la notion d'« unité à la base ». Marchais n'a même pas l'originalité de définir une stratégie nouvelle par rapport au Parti communiste des années 1930.
10 mai
Claude Mazauric est un historien communiste, professeur à l'université de Rouen où, il y a quelques années, Roland Leroy me l'a présenté. Il faut entendre cet historien soumis dire ce qu'il clame à la tribune du congrès : il parle des « turpitudes réformistes » du Parti socialiste depuis les dernières municipales ; il se félicite de ce que « le PC ait mis en échec le plan social-démocrate du PS » ; pour finir, il se taille un franc succès en s'écriant : « Le PC est le lieu où s'élabore la rencontre de la science et de la révolution. » Je ne sais même pas ce que cela veut dire, mais les ovations qui saluent cette phrase montrent qu'il a fait mouche auprès de ses auditeurs.
Laurent Salini 25 , avec qui je parle après l'intervention de Mazauric, me dit que le texte de Georges Marchais écarte certes l'alliance au sommet avec les socialistes, mais pour le moment seulement. « Ouf, me confie-t-il, j'ai eu peur ! » Je me borne à remarquer, moi – car je n'ai pas une extrême confiance dans la profession de foi sociale-démocrate de Laurent Salini –, que Georges Marchais donne le signal des applaudissements lorsque Mazauric parle et condamne « ceux qui ont roulé pour le PS » !
Max Léon, communiste et correspondant permanent de L'Huma à Moscou, me dit quelque chose de beaucoup plus plausible : « Le bureau politique, c'est toujours un équilibre : Georges Marchais est obligé d'en tenir compte. »
Après Mazauric, la parole a été laissée à Claude Frioux, plutôt du côté des oppositionnels, mais, si j'ose dire, des oppositionnels de Sa Majesté : il se borne à réclamer que la discussion au sein du PC puisse s'instaurer entre les congrès et non pas seulement dans l'immédiat avant-congrès. Il est beaucoup moins applaudi que Claude Mazauric.
11 heures : mini-conférence de presse de Georges Marchais qui fait dire qu'atteint d'une extinction de voix, il ne peut pas parler, mais néanmoins n'y résiste pas. Il trouve que Mitterrand n'a pas été loyal, ou plutôt qu'il l'a été seulement jusqu'en 1977. Que les socialistes français mentent sur l'Europe, etc.
Pendant ce temps, les orateurs se succèdent à la tribune. La plupart se félicitent du bilan positif du socialisme ; ceux qui réclament un peu plus de discussion au sein du PC le font avec mesure, sans être véritablement applaudis par les congressistes.
12 mai
Je m'interroge, alors que le congrès n'est pas encore achevé, sur ses aspects parfois contradictoires. Un mot sur la salle, d'abord : une majorité de gens jeunes, très jeunes, dont de nombreuses femmes, jeunes femmes, même, habillées avec décontraction et élégance. Les délégués entrent et sortent pendant que les orateurs parlent, ce qui n'était pas le cas aux XX e et XXI e Congrès où tous étaient beaucoup plus
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