Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Schmidt l'attire d'un geste, le prend à part et lui demande : « Pourquoi l'alliance avec le Parti communiste, pourquoi les nationalisations ? »
Pour le reste, il me raconte les « humiliations répétées », selon lui, que lui a fait subir Mitterrand pendant des années.
Je m'étonne : pourquoi n'en a-t-il rien dit, tout ce temps-là ?
2 février
Giscard reçoit Jacqueline Baudrier 6 et toute l'équipe politique associée de près ou de loin à France Inter. Ce qui est mon cas. Nous sommes une douzaine au premier étage de l'Élysée, et Giscard nous parle d'abord sidérurgie. Est-ce la visite de Mauroy qui l'a alerté sur le charbon et l'acier ? Il nous parle longuement de la Lorraine et de Longwy, de Valenciennes où il est, selon lui, essentiel de disposer d'une implantation industrielle. Même inquiétude sur le plan européen : le marché est déprimé, instable, une sidérurgie compétitive est difficile.
C'est sur l'Europe qu'au bout de quelques minutes il centre son propos : il ne peut pas faire autrement à partir du moment où la moitié de sa majorité renâcle, dénonce, comme Chirac, le « parti de l'étranger », ou bien encore accuse, comme Michel Debré, toutes les institutions fondatrices de l'Europe. Il commence par soupirer sur les « vieux démons, ceux du nationalisme, de la xénophobie, qui tirent la France vers l'arrière ». Dieu merci, pour lui, les Français ne sont pas sur cette position-là. La France a des atouts, et ils le savent. Giscard les énumère devant nous : le franc est stable, la hausse des prix est finalement limitée à moins de 10 %, l'activité économique reprend, les perspectives à moyen terme sont bonnes. La France a donc intérêt à s'ouvrir vers l'extérieur.
Quant à l'Europe, il résume pragmatiquement les choses : « L'Europe n'a pas réglé tous les problèmes, mais son existence a évité que ceux-ci deviennent catastrophiques. »
Il fera une conférence de presse dans ce sens à la mi-février, il en reparlera en Alsace à la fin mai, tout cela conclu par une grande réunion publique, sur l'Europe toujours, près de Strasbourg.
Ses prévisions sur les forces politiques au cours des prochaines élections : recul du vote communiste ; avancée, au contraire, du Parti socialiste. Il ne nie pas qu'en ce qui concerne la majorité, le RPR adoptera « un ton antieuropéen sur la défense des intérêts nationaux », et qu'il y aura donc, pour le moins, une divergence entre gaullistes et giscardiens. Comme il est optimiste, il juge néanmoins que cela n'aura pas beaucoup d'incidence sur la politique intérieure. Quant aux communistes et aux socialistes, « leur coupure idéologique sera de ce fait renforcée ».
Nous parlons ensuite de l'Iran et de l'ayatollah Khomeyni : il s'explique longuement sur les conditions de l'arrivée en France de celui-ci après son expulsion d'Iran par le chah en 1978. Point sur lequel il conclut comme souvent : « Au total, il fallait faire ce qu'on a fait. »
Sur l'évolution de la situation, il ne se fait guère d'illusions : « J'ai toujours pensé qu'existaient deux forces en Iran, l'armée et les religieux ; la solution souhaitable était une entente entre les deux. À l'heure actuelle, nous avons au contraire une épreuve de force. »
Bon, nous avons fait le tour : une heure s'est écoulée depuis que nous sommes entrés dans ce salon. Il déplie son corps, se lève, nous raccompagne avec courtoisie.
Même jour : Jacques Chirac, sur les écrans, fatigué, maigre, énervé. Sur la critique du plan économique de Raymond Barre, il est, je trouve, beaucoup plus convaincant aujourd'hui qu'auparavant, maintenant que la crise de la sidérurgie lorraine et le chômage rendent ses résultats plus aléatoires.
VGE, j'y reviens après avoir entendu Chirac, comment dire, m'est de plus en plus transparent. Je n'ai pas besoin d'attendre longtemps pour deviner que Jacqueline Baudrier, je ne sais pourquoi, mais je le sais, lui est insupportable, qu'il est intéressé au contraire par l'humour et l'acuité de Pierre Wiehn 7 , que, me reconnaissant dans ce groupe, il a affiché à mon endroit un air de connivence, sinon de familiarité. Un indice amusant. « Quelle est votre formation ? », demande-t-il à Pierre Wiehn, après avoir entendu celui-ci présenter France Inter. « Journaliste », répond Wiehn. Giscard se détourne presque aussitôt, ne pouvant cacher sa surprise à l'idée
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